Musique et cinéma accomplissent parfois
un divin mariage. Qu’on songe à Einseinstein et Prokofiev ; Fellini et
Nino Rotta ; Sergio Leone et Ennio Morricone ; Andreï Tarkovski et Edouard
Artemiev ou encore à David Lynch et Angelo Badalamenti (pour citer ceux qui me
viennent en premier à l’esprit) – et l’on se rendra compte des fruits miraculeux
que peuvent produire de telles alliances. Les œuvres de ces cinéastes ne
seraient pas tout à fait ce qu’elles sont sans la griffe de compositeurs qui furent
d’indispensables compagnons de route. Ainsi en est-il pour Béla Tarr et Mihály Víg dont la belle et riche collaboration s’étire sur près de 30
ans.
Hongrois tous deux, ils durent souvent recourir à divers stratagèmes
fastidieux auprès d’un Etat rétif et borné afin de trouver des fonds
indispensables pour donner corps et vie à leur élan créateur. De nos jours, la
situation de l’Art en Hongrie n’est pas près de s’arranger, loin s’en faut...
C’est sans doute ce qui explique en partie l’adieu de Béla Tarr au cinéma – que
j’espère n’être qu’un au revoir, tant
l’œuvre de ce cinéaste me transporte au plus haut point. Rare est la beauté et
les grands cinéastes ne courent pas les rues. On a souvent comparé Béla Tarr à
Dreyer, Tarkovski ou encore Robert Bresson. Mais Béla Tarr, de même que lesdits
cinéastes, est unique en son genre. Son travail est de ceux qui marquent à tout
jamais. Les spectateurs qui ont “vécu” ses films – à ce stade-là, il ne s’agit
plus de voir, d’assister passivement
mais bien de vivre pleinement chaque œuvre –, ne sont pas près d’oublier une
telle expérience, un pareil ébranlement de tout l’être.
Après avoir atteint le point
d’orgue de son cinéma avec Le Cheval de Turin, il semblerait que le
cinéaste hongrois ait décidé à présent de donner des cours dans une Université
de Cinéma en Croatie. Dans quelques déclarations données à la presse, celui-ci
n’a cessé de dire qu’il avait pu exprimer tout ce qu’il portait en lui – et que,
continuer à faire des films dans ces conditions, ne s’apparenterait qu’à de la
redite confortable, bassement commerciale et trop facilement estampillée “Béla
Tarr”. Or, s’il est bien une chose à laquelle ce dernier se refuse absolument,
c’est de devenir une sorte de rassurant “produit culturel”. Voilà une attitude
suffisamment rare et noble pour être soulignée.
Les musiques signées Mihály Víg et qui constituent cet album sont issues de quatre
films : Almanach d’Automne, Damnation, Satantango ainsi que Les
Harmonies Werckmeister – soit au moins trois chefs-d’œuvre (je n’ai
malheureusement pas encore eu la possibilité de découvrir Almanach d’Automne). Les morceaux qui émaillent cet opus ont
souvent le tranchant de tessons de verre et nous grisent ainsi que le vin noir
de l’amertume. La musique de Mihály Víg a
quelque chose de profondément hypnotique. Nous plongeons dans un univers de
cendres, le long de plaines mitraillées par une pluie diluvienne et où la place
de l’homme semble de plus en plus précaire et obsolète. Pour beaucoup de
peuples de l’Est, la mélancolie est un pain quotidien qui s’arrose bien souvent
de vodka : histoire d’abrutir sa conscience et de fuir pour un temps (toujours
trop fugace), la lourde grisaille qui colle à la peau et aux yeux.
Ce qui fait
la force de ces diverses compositions, c’est qu’elles peuvent être écoutées
sans avoir nécessairement recours aux images de Béla Tarr. À l’auditeur, s’il
le désire, de laisser voguer son imagination et de dérouler pour lui-même son
propre scénario. Et qui sait, il se peut qu’au fur et à mesure d’une telle écoute,
le désir de découvrir les films de Béla Tarr se fasse de plus en plus présent
et qu’un petit miracle ait lieu. C’est tout le bien que je vous souhaite.
© Thibault Marconnet
le 07 juin 2014
Tracklist :
01 - Őszi Almanach : Főcím
02 - Őszi Almanach : Lukin
03 - Őszi Almanach : Őskígyó
04 - Őszi Almanach : Lengyelország
05 - Őszi Almanach : Pajesz
06 - Őszi Almanach : Synth
07 - Kárhozat : Csille
08 - Kárhozat : Kész Az Egész
09 - Kárhozat : Eső I.
10 - Kárhozat : R&R
11 - Kárhozat : Lassú Tánc
12 - Kárhozat : Körtánc I.
13 - Kárhozat : Vonósnégyes
14 - Sátántangó : Harang I.
15 - Sátántangó : Eső II.
16 - Sátántangó : Halics
17 - Sátántangó : Szabad Egy Tangót?
18 - Sátántangó : Körtánc II.
19 - Sátántangó : Pityi
20 - Sátántangó : Harang II.
21 - Werckmeister Harmóniák : Valuska
22 - Werckmeister Harmóniák : Öreg
22 - Werckmeister Harmóniák : Öreg
Lien Deezer : Mihály Víg - Filmzenék Tarr Béla Filmjeihez [2001]
Mihály Víg et Béla Tarr |
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