vendredi 12 décembre 2014

Détroit - Horizons [2013]





« Nul n’a jamais écrit ou peint, sculpté, modelé, construit, inventé, que pour sortir en fait de l’enfer. » 

Antonin Artaud 
(in Van Gogh ou le suicidé de la société)


Avec Horizons, Bertrand Cantat & Pascal Humbert affirment ensemble une forte pulsion de vie, une belle volonté créatrice.
Bertrand Cantat se débarrasse de peaux mortes afin de mieux renaître. Phénix sous les cendres, il se métamorphose.

À coups de mots, il brise le fourreau de suie qui le tenait prisonnier et tente une échappée au-dehors. Cependant, Cantat n’est pas dupe : il sait bien que l’on ne peut s’extirper de soi-même. Demeure malgré tout, la possibilité d’exprimer le poison qui coule en soi, afin que celui-ci ne détruise pas entièrement l’être.
Cet album de clair-obscur s’annonce comme une possible survivance.
Chanter est façon de sortir de soi. Les images sont nues, tranchantes.

Bertrand Cantat avance dans sa nuit noire – trouée çà et là de maigres lumières –, tel un funambule sur une lame de rasoir.
Le chanteur aux hululements de chaman chante son exil, sa douleur ; sa voix étouffe le verbiage des inénarrables commères et sa musique balaye la lueur sale des néons de l’audimat.
« Dors mon ange de désolation / Dès que le vent aura tourné / Nous ferons diversion / Et tu m’emmèneras […] / Dans leurs paniers à ordures / Il y aura cinq cents dix versions / Pour engraisser les porcs […] Dors mon ange […] L’éternité nous appartient / Chaque seconde la contient »

L’empreinte carcérale demeure, présente comme une stèle de bronze.
Mais l’âme déploie ses forces vitales pour chercher l’horizon salutaire entre les interstices.
Cet album dévoile toute la capacité créatrice de Bertrand Cantat, après le divorce consommé entre lui et ses anciens compagnons de route.
Contrairement à feu Noir Désir, les mélodies de Détroit se font plus apaisées : il n’est plus besoin de crier pour se faire entendre. Le lézard peut entamer sa mue.
Après la couleur rouge sang de ces dernières années, un peu d’ocre vive est nécessaire pour continuer d’exister.

Le morceau Droit dans le soleil, est une fenêtre ouverte sur la lumière :
« On ne renonce pas, on essaye / De regarder droit dans le soleil […] On n’se console pas, on s’enraye / Mais on regarde droit dans le soleil […] Tourne tourne la terre / Tout se dissout dans la lumière / L’acier et les ombres qui marchent à tes côtés »

L’album Chœurs, composé pour des mises en scène de Wajdi Mouawad, annonçait déjà une belle évasion vers d’autres territoires. Bertrand Cantat y côtoyait les mythes grecs et leur incroyable violence comme pour aller se frotter au plus près de l’épine. Chœurs fut une première catharsis.

À présent, ce cœur qui a tant battu se relève et le sabre du soleil lacère la brume environnante.
Dans la voix monte encore la sève, vive et brûlante.


© Thibault Marconnet
le 17 novembre 2013



Tracklist :

01 - Ma Muse
02 - Glimmer In Your Eyes
03 - Terre Brûlante
04 - Détroit - 1
05 - Ange De Désolation
06 - Horizon
07 - Droit Dans Le Soleil
08 - Détroit - 2
09 - Le Creux De Ta Main
10 - Sa Majesté
11 - Null And Void
12 - Avec Le Temps
13 - Sonic 5




Détroit : Pascal Humbert & Bertrand Cantat

2 commentaires:

  1. Une bien jolie surprise à l'époque que ce disque, en grande partie due au fait que, comme tu le soulignes, Cantat n'a plus besoin de hurler sa rage. Cette manière de procéder aurait de toute façon été d'assez mauvais goût au vu des circonstances.
    Je suis notamment assez fan du titre presque-éponyme Horizon, à la fois musicalement et au niveau des paroles.
    Paroles d'ailleurs, où il alterne l'inspiration évidente et la simplicité navrante (Ma muse).

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    1. Oui, Cantat a laissé des peaux mortes derrière lui et sa mue est très prometteuse. Comme toi, je suis particulièrement ému par le morceau “Horizon” et surtout par l'espèce de triptyque dans lequel il s'intègre : “Ange de désolation”, “Horizon” et “Droit dans le soleil”. Pour moi, ces trois chansons forment un tout, les pièces d'un puzzle. Quant à “Ma muse”, je ne serais pas aussi catégorique, cette chanson possède un réel souffle et sa montée en puissance me transporte à chaque écoute. Et je ne trouve pas non plus que les paroles soient d'une “simplicité navrante” : “[...] Ça m'amuse que tu sois ma muse / ça colle des ailes à mes labiales / ôte à mes mots la muselière / impose des lettres capitales / Alors veux-tu que je te dise / je prends ce que tu donneras / la pierre est précieuse et magique / maintenant je sais que tu es là / d'antennes en satellites / autour des météores / je peux puiser dans ton calice / je peux creuser dans ta mine d'or...”
      Moi qui écris, je puis te dire qu'atteindre à une certaine simplicité dans l'expression est souvent bien plus compliqué qu'il n'y paraît. Bien à toi.

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