dimanche 14 septembre 2014

Pierre Henry - Maldoror / Feuilleton [1993]



« L’un des signes les moins douteux de cet acculement des âmes modernes à l’extrémité de tout, c’est la récente intrusion en France d’un monstre de livre, presque inconnu encore, quoique publié en Belgique depuis dix ans : Les Chants de Maldoror, par le comte de Lautréamont (?), œuvre tout à fait sans analogue et probablement appelée à retentir. L’auteur est mort dans un cabanon et c’est tout ce qu’on sait de lui. Il est difficile de décider si le mot monstre est ici suffisant. Cela ressemble à quelque effroyable polymorphe sous-marin qu’une tempête surprenante aurait lancé sur le rivage, après avoir saboulé le fond de l’Océan. La gueule même de l’Imprécation demeure béante et silencieuse au conspect de ce visiteur, et les sataniques litanies des Fleurs du Mal prennent subitement, par comparaison, comme un certain air d’anodine bondieuserie. […] Quant à la forme littéraire, il n’y en a pas. C’est de la lave liquide. C’est insensé, noir et dévorant. » 

Qui mieux que Léon Bloy pour exprimer en quelques mots pleins d’une verve furieuse toute la folie d’un tel chef-d’œuvre ? Quel plus vibrant hommage pour une œuvre qui semble charrier des tombereaux de pierres précieuses enchâssées dans des têtes de mort et des bagues dont le rubis serait rempli d’une liquide cigüe ? Cet éloge – sans conteste le plus beau qui soit et que n’eut certainement pas renié Isidore Ducasse –, figure dans son roman Le Désespéré. Léon Bloy fut le tout premier à avoir balayé de la lumière charbonneuse de sa torche visionnaire les pages démentielles de cet unique livre. Dès 1887, il avait compris. Compris que ce terrible ouvrage – issu de l’esprit d’un jeune et obscur écrivain mort à seulement 24 ans –, était une œuvre sans pareille dans le sein trop souvent valétudinaire de la littérature française. 

Dès lors, comment rendre perceptible à l’auditeur le côté profondément insane, vénéneux et génial d’une telle œuvre ? Voilà une sacrée gageure à laquelle Pierre Henry (l’un des pères de la musique électroacoustique), s’est attelé avec beaucoup d’inventivité ainsi qu’un talent certain pour commotionner l’auditeur et le faire plonger tête la première dans le gargouillis de ces eaux bourbeuses qu’on dirait tout droit sorties de la gorge même de l’Enfer. C’est durant l’hiver de l’an 1993 que cette création radiophonique fut diffusée sur France Musique. Nul doute que plus d’un grand enfant n’a pas manqué de peupler son sommeil de cauchemars après de telles écoutes. C’est Cécile Violet qui est à la lecture et sa voix au timbre de somnambule convient on ne peut mieux au feu noir d’un tel texte. Des six chants enregistrés, je n’ai en ma possession que les deux premiers, hélas lacunaires ! et j’ignore comment il me serait possible de dénicher la suite – à moins de songer à cambrioler sauvagement et par une nuit sans lune les archives de l’IRCAM ! Quoi qu’il en soit, cela vous donnera déjà un aperçu saisissant du poison vipérin que distille cet alambic des infernaux palus.

Ps : Comme il n’existe pas de couverture pour ce feuilleton radiophonique, j'en ai concocté une d’après une illustration des "Chants de Maldoror" de l’artiste Frans de Geetere.

© Thibault Marconnet
03/05/2014


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1 commentaire:

  1. Oui, chère Chris, tu as bonne mémoire ! J'ai lu "Les Chants de Maldoror" durant mon adolescence. Il serait bon qu'un jour je me replonge dans cette oeuvre foisonnante et terrible.

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