« Il y a
eu un peuple, une civilisation quelconque et un souverain aussitôt que les
hommes se sont touchés. Le mot de peuple est un terme relatif qui n’a point de
sens séparé de l’idée de la souveraineté : car l’idée de peuple réveille
celle d’une agrégation autour d’un centre commun, et sans la souveraineté il ne
peut y avoir d’ensemble ni d’unité politique.
Il faut donc
renvoyer dans les espaces imaginaires les idées de choix et de délibération
dans l’établissement de la société et de la souveraineté. Cette opération est
l’œuvre immédiate de la nature ou, pour mieux dire, de son auteur. Si les
hommes ont repoussé des idées aussi simples et aussi évidentes, il faut les
plaindre. Accoutumons-nous à ne voir dans la société humaine que l’expression
de la volonté divine. Plus les faux docteurs ont tâché de nous isoler et de
détacher le rameau de sa TIGE, plus nous devons nous y attacher, sous peine de
sécher et de pourrir. » (in De la souveraineté du peuple)
« Mais
ce feu sacré qui anime les nations, est-ce toi qui peux l’allumer, homme
imperceptible ?... Quoi ! tu peux donner une âme commune à plusieurs
millions d’hommes ?... Quoi ! tu peux ne faire qu’une volonté de
toutes ces volontés ? les réunir sous tes lois ? les serrer autour
d’un centre unique ? donner ta pensée aux hommes qui n’existent pas
encore ? te faire obéir par les générations futures et créer ces coutumes
vénérables, ces préjugés conservateurs, pères des lois et plus forts que les
lois ? – Tais-toi. » (in De la souveraineté du peuple)
« La
constitution la plus parfaite de l’antiquité, c’est sans contredit celle de
Sparte, et Sparte ne nous a pas laissé une ligne sur son droit public. Elle se
vantait justement de n’avoir écrit ses lois que dans le cœur de ses enfants.
Lisez l’histoire des lois romaines, j’entends de celles qui appartiennent au
droit public : vous observerez d’abord que les véritables racines de la
Constitution romaine ne tiennent point à des lois écrites. » (in De la souveraineté du peuple)
« Les
différentes formes et les différents degrés de la souveraineté ont fait penser
qu’elle était l’ouvrage des peuples qui l’avaient modifiée à leur gré ;
mais rien n’est plus faux. Tous les peuples ont le gouvernement qui leur
convient, et nul n’a choisi le sien. Il est même remarquable que c’est presque
toujours pour son malheur qu’il essaye de s’en donner un, ou pour parler plus
exactement, qu’une trop grande portion du peuple se met en mouvement pour cet
objet : car, dans ce tâtonnement funeste, il est trop aisé qu’il se trompe
sur ses véritables intérêts ; qu’il poursuive avec acharnement ce qui ne
peut lui convenir, et qu’il rejette au contraire ce qui lui convient le
mieux : et l’on sait combien dans ce genre les erreurs sont terribles.
C’est ce qui a fait dire à Tacite, avec sa profondeur ordinaire, qu’il y a bien
moins d’inconvénient pour un peuple d’accepter un souverain que de le
chercher. » (in De
la souveraineté du peuple)
« En un
mot, la masse du peuple n’entre pour rien dans toutes les créations politiques.
Il ne respecte même le gouvernement que parce qu’il n’est pas son ouvrage. Ce
sentiment est gravé dans son cœur en traits profonds. Il plie sous la
souveraineté parce qu’il sent que c’est quelque chose de sacré qu’il ne peut ni
créer ni détruire. S’il vient à bout, à force de corruption et de suggestions
perfides, d’effacer en lui ce sentiment préservateur, s’il a le malheur de se croire
appelé en masse à réformer l’Etat, tout est perdu. C’est pourquoi, dans les
Etats libres même, il importe infiniment que les hommes qui gouvernent soient
séparés de la masse du peuple par cette considération personnelle qui résulte
de la naissance et des richesses : car si l’opinion ne met pas une
barrière entre elle et l’autorité, si le pouvoir n’est pas hors de sa portée,
si la foule gouvernée peut se croire l’égale du petit nombre qui gouverne, il
n’y a plus de gouvernement : ainsi l’aristocratie est souveraine ou
régissante par essence ; et le principe de la Révolution française heurte
de front les lois éternelles de la nature. » (in De la souveraineté du peuple)
« De
même, en matière de gouvernement, les hommes ne créent rien. Toute loi
constitutionnelle n’est qu’une déclaration d’un droit antérieur ou d’un dogme
politique. Et jamais elle n’est produite que par la contradiction d’un parti
qui méconnaît ce droit ou qui l’attaque : en sorte qu’une loi qui a la
prétention d’établir a priori un nouveau mode de gouvernement est un acte
d’extravagance dans toute la force du terme. » (in De la souveraineté du peuple)
« Dès
que l’homme se sépare de la divinité, il se gangrène et gangrène tout ce qu’il
touche. […] Mais dès que l’idée de la divinité est le principe de l’action
humaine, cette action est féconde, créatrice, invincible. Une forme inconnue se
fait sentir de toute part, anime, échauffe, vivifie tout. […] Quand on a dit du
grand Etre qu’il existe, on n’a rien dit encore : il faut dire qu’il est
l’Existence. […] Une goutte de cet Océan incommensurable d’existence semble se
détacher et tomber sur l’homme qui parle et agit au nom de la divinité :
son action étonne et donne une idée de la création. Les siècles s’écoulent, et
son ouvrage reste. Tout ce qu’il y a parmi les hommes de grand, de bon,
d’aimable, de vrai, de durable, tient à l’Existence source de toutes les
existences ; hors d’elle il n’y a qu’erreur, putréfaction et néant. » (in De la souveraineté
du peuple)
« La
justice, dans les démocraties, est tantôt faible et tantôt passionnée ; on
dit que, dans ces gouvernements, nulle tête ne peut braver le glaive de la loi.
Cela signifie que la punition d’un coupable ou d’un accusé illustre étant une
véritable jouissance pour la plèbe, qui se console ainsi de l’inévitable
supériorité de l’aristocratie, l’opinion publique favorise puissamment ces
sortes de jugements ; mais si le coupable est obscur, ou en général si le
crime ne blesse ni l’orgueil ni l’intérêt immédiat de la majorité des individus
du peuple, cette même opinion résiste à l’action de la justice et la
paralyse. » (in De
la souveraineté du peuple)
« Je ne
sais pourquoi, au reste, Rousseau a bien voulu convenir que le gouvernement
démocratique entraîne quelques petits abus ; il avait trouvé un moyen bien
simple de la justifier : c’est de n’en juger que par ses perfections
théoriques, et de regarder les maux qu’il produit comme de petites anomalies
sans conséquences, qui ne méritent point de fixer l’œil de l’observateur.
“La volonté
générale”, dit-il, “est toujours droite et tend toujours à l’utilité
publique ; mais les délibérations du peuple n’ont pas toujours la même
rectitude… Jamais on ne corrompt le peuple ; mais souvent on le trompe, et
c’est alors seulement qu’il paraît vouloir ce qui est mal.”
Bois,
Socrate, bois ! et console-toi avec ces distinctions : le bon peuple
d’Athènes paraît seulement vouloir ce qui est mal.
Tel est l'esprit de parti : il ne veut pas voir, ou il ne veut voir qu'un côté. » (in De la souveraineté du peuple)
Tel est l'esprit de parti : il ne veut pas voir, ou il ne veut voir qu'un côté. » (in De la souveraineté du peuple)
Karl Vogel von Vogelstein, Joseph de Maistre, 1810 |
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