« […] toutes les choses qui sont, sont en Dieu, et dépendent de
Dieu, de telle sorte que, sans lui, elles ne peuvent ni être, ni être
conçues. » Spinoza (in L’Éthique)
« […] Si, par exemple, une pierre est tombée d’un toit sur la tête
de quelqu’un et l’a tué, ils démontreront que la pierre est tombée pour tuer
l’homme, de la façon suivante : Si en effet, elle n’est pas tombée à cette
fin par la volonté de Dieu, comment tant de circonstances (souvent, en effet,
il faut un grand concours de circonstances simultanées) ont-elles pu concourir
par hasard ? Vous répondrez peut-être que c’est arrivé parce que le vent
soufflait et que l’homme passait par là. Mais ils insisteront : Pourquoi
le vent soufflait-il à ce moment-là ? Pourquoi l’homme passait-il par là à
ce même moment ? Si vous répondez de nouveau que le vent s’est levé parce
que la veille, par un temps encore calme, la mer avait commencé à s’agiter, et
que l’homme avait été invité par un ami, ils insisteront de nouveau car ils ne
sont jamais à court de questions : Pourquoi donc la mer était-elle
agitée ? Pourquoi l’homme a-t-il été invité à ce moment-là ? et ils
ne cesseront ainsi de vous interroger sur les causes des causes, jusqu’à ce que
vous vous soyez réfugié dans la volonté de Dieu, cet asile de
l’ignorance. » Spinoza (in L’Éthique,
De Dieu, p. 108)
« […] la plupart des erreurs consistent en cela seul que nous ne
donnons pas correctement leurs noms aux choses. […] Et voilà l’origine de la
plupart des controverses : les hommes n’expriment pas correctement leur
pensée ou ils interprètent mal la pensée d’autrui. En fait, lorsqu’ils se
contredisent le plus, ils pensent les mêmes choses ou bien des choses
différentes, de sorte que ce qu’ils considèrent chez autrui comme des erreurs
et des absurdités n’en est pas. » Spinoza (in L’Éthique, De la nature et de l’origine de l’esprit, p. 167)
« Du seul fait que nous avons considéré une chose dans la joie ou
dans la tristesse, ce dont elle n’est pas la cause efficiente, nous pouvons
l’aimer ou la haïr. » Spinoza (in L’Éthique,
De l’origine et de la nature des sentiments, p. 196)
« La dépréciation de soi (abjectio)
consiste à avoir de soi, par tristesse, une moindre opinion qu’il n’est juste.
[…] ces sentiments, à savoir l’humilité et la dépréciation de soi, sont très
rares. Car la nature humaine, considérée en soi, leur résiste autant qu’elle
peut, et ainsi ceux que l’on croit les plus effacés et les plus humbles sont
généralement les plus ambitieux et les plus envieux. » Spinoza (in L’Éthique, De l’origine et de la nature
des sentiments, p. 253-254)
« […] nous ne savons avec certitude rien qui soit bon, sinon ce
qui conduit réellement à comprendre ; et au contraire rien qui soit
mauvais, sinon ce qui peut empêcher que nous comprenions. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
291)
« […] l’esprit agit seulement dans la mesure où il comprend et
dans cette mesure seulement on peut dire qu’il agit par vertu. Donc la vertu
absolue (absoluta) de l’esprit, c’est
de comprendre. Or ce que l’esprit peut comprendre de plus haut, c’est Dieu.
Donc la suprême vertu de l’esprit, c’est de comprendre ou de connaître
Dieu. » Spinoza (in L’Éthique,
De la servitude humaine, p. 291-292)
« Une chose singulière quelconque, dont la nature est entièrement
différente de la nôtre, ne peut ni aider ni contrarier notre puissance d’agir,
et, absolument parlant, aucune chose ne peut être bonne ou mauvaise pour nous,
à moins qu’elle n’ait quelque chose de commun avec nous. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
292)
« Nous appelons mauvais ce qui est cause de tristesse,
c’est-à-dire ce qui diminue ou contrarie notre puissance d’agir. Si donc une
chose était mauvaise pour nous par ce qu’elle a de commun avec nous, elle
pourrait donc diminuer ou contrarier cela même qu’elle a de commun avec nous,
ce qui est absurde. Nulle chose donc ne peut être mauvaise pour nous par ce
qu’elle a de commun avec nous ; mais, au contraire, dans la mesure où elle
est mauvaise, c’est-à-dire dans la mesure où elle peut diminuer ou contrarier
notre puissance d’agir, elle nous est contraire. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
293)
« […] il est rare que les hommes vivent sous la conduite de la
Raison ; mais c’est ainsi : la plupart se jalousent et sont
insupportables les uns aux autres. Néanmoins ils ne peuvent guère mener une vie
solitaire, de sorte que la plupart se plaisent à la définition que l’homme est
un animal politique (sociale) ; et, de fait, les choses sont telles que,
de la société commune des hommes, on peut tirer beaucoup plus d’avantages que
d’inconvénients. Que les Satiriques rient donc autant qu’ils veulent des choses
humaines, que les Théologiens les détestent, et que les Mélancoliques louent,
tant qu’ils peuvent, la vie inculte et sauvage, qu’ils méprisent les hommes et
admirent les bêtes : les hommes n’en feront pas moins l’expérience qu’ils
peuvent beaucoup plus aisément se procurer par un mutuel secours ce dont ils
ont besoin, et qu’ils ne peuvent éviter que par l’union de leurs forces les
dangers qui les menacent de partout ; pour ne pas dire d’ailleurs qu’il
est de beaucoup préférable, et plus digne de notre connaissance, de considérer
les actions des hommes que celles des bêtes. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
298-299)
« […] Chacun existe par le droit souverain de la Nature, et par
conséquent chacun, par le droit souverain de la Nature, fait ce qui suit de la
nécessité de sa nature ; ainsi, par le droit souverain de la Nature,
chacun juge de ce qui est bon, de ce qui est mauvais, et songe à son utilité
selon son propre naturel, et se venge, et s’efforce de conserver ce qu’il aime
et de détruire ce qu’il hait. Si les hommes vivaient sous la conduite de la
Raison, chacun posséderait son propre droit sans aucun dommage pour autrui.
Mais comme ils sont soumis à des sentiments qui surpassent de beaucoup la
puissance ou vertu humaine, ils sont donc tiraillés en tout sens, et s’opposent
les uns aux autres, alors qu’ils ont besoin d’un mutuel secours. Donc, pour que
les hommes puissent vivre dans la concorde et se venir en aide, il est
nécessaire qu’ils renoncent à leur droit de nature et s’assurent réciproquement
qu’ils ne feront rien qui puisse faire du mal à autrui. Or, comment peut-il se
faire que les hommes, qui sont nécessairement soumis aux sentiments,
inconstants et divers, puissent se donner cette assurance réciproque et avoir
foi les uns dans les autres, cela apparaît évident selon la proposition 7 de
cette partie et la proposition 39 de la troisième partie : à savoir que
nul sentiment ne peut être contrarié que par un sentiment plus fort et opposé
au sentiment à contrarier, et que chacun s’abstient de faire du mal de crainte
d’un mal plus grand. Par cette loi donc, la Société pourra se rendre ferme (firmari), pourvu qu’elle revendique pour
elle-même le droit que chacun a de se venger et de juger du bon et du mauvais,
et qu’elle ait par conséquent le pouvoir de prescrire une règle de vie commune
(communem vivendi rationem), de faire
des lois et de les affermir, non par la Raison qui ne peut réprimer les
sentiments, mais par des menaces. Or cette Société, affermie (firmata) par des lois et par le pouvoir
de se conserver, s’appelle l’Etat (Civitas)
et ceux qui sont protégés par ses lois (jure)
s’appellent Citoyens. D’où nous comprenons aisément que, dans l’état de nature,
il n’y a rien qui soit bon ou mauvais par le consentement de tous (ex omnium consensu) puisque tout homme
dans cet état de nature songe seulement à son utilité, et décide, selon son
propre naturel et en tant qu’il reconnaît sa seule utilité comme norme (rationem), de ce qui est bon ou de ce
qui est mauvais, et qu’il n’est tenu par aucune loi d’obéir à personne d’autre
qu’à lui seul.
Par conséquent, dans l’état de nature, la faute ne peut se concevoir,
mais elle peut l’être dans l’état de société, où il est décidé, par
consentement commun, de ce qui est bon ou de ce qui est mauvais, et où chacun
est tenu d’obéir à l’Etat. Aussi la faute n’est-elle rien d’autre que la
désobéissance, qui, pour cette raison, est punie en vertu du seul droit de
l’Etat ; au contraire, l’obéissance est comptée au citoyen comme un
mérite, parce qu’il est par cela même jugé digne de jouir des avantages de
l’Etat.
En outre, dans l’état de nature, personne, par consentement commun,
n’est maître (dominus) d’aucune
chose, et il n’y a rien dans la Nature que l’on puisse dire appartenir à cet
homme-ci et non à celui-là ; mais tout est à tous ; par suite, dans
l’état de nature, on ne peut concevoir aucune volonté d’attribuer à chacun son
dû, ou d’arracher à quelqu’un ce qu’il a ; c’est-à-dire que, dans l’état
de nature, il n’arrive rien qui puisse être dit juste ou injuste, comme dans
l’état de société où, par consentement commun, il est décidé quelle chose
appartient à l’un ou à l’autre.
Il est donc clair que le juste et l’injuste, la faute et le mérite sont
des notions extrinsèques, et non des attributs qui expliquent la nature de
l’esprit. Voilà qui est suffisant sur ce sujet. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
303-304)
« Ce qui conduit à la société commune des hommes, autrement dit ce
qui fait que les hommes vivent dans la concorde, est utile ; et au
contraire, est mauvais ce qui introduit la discorde dans l’Etat. » Spinoza
(in L’Éthique, De la servitude
humaine, p. 307)
« Entre la moquerie (que, dans le corollaire I, j’ai dite être
mauvaise) et le rire, je fais une grande différence. Car le rire, comme aussi
la plaisanterie (jocus) est une pure
joie ; et par conséquent, pourvu qu’il ne soit pas excessif, il est bon
par lui-même. Et ce n’est certes qu’une sauvage et triste superstition qui
interdit de prendre du plaisir. Car, en quoi convient-il mieux d’apaiser la
faim et la soif que de chasser la mélancolie ? Tels sont mon argument et
ma conviction.
Aucune divinité, ni personne d’autre que l’envieux ne prend plaisir à
mon impuissance et à ma peine et ne nous tient pour vertu les larmes, les
sanglots, la crainte, etc., qui sont signes d’une âme (animi) impuissante. Au contraire, plus nous sommes affectés d’une
plus grande joie, plus nous passons à une perfection plus grande, c’est-à-dire
qu’il est d’autant plus nécessaire que nous participions de la nature divine.
C’est pourquoi, user des choses et y prendre plaisir autant qu’il se peut (non
certes jusqu’au dégoût, car ce n’est plus y prendre plaisir) est d’un homme
sage. C’est d’un homme sage, dis-je, de se réconforter et de réparer ses forces
grâce à une nourriture et des boissons agréables prises avec modération, et aussi
grâce aux parfums, au charme des plantes verdoyantes, de la parure, de la
musique, des jeux du gymnase, des spectacles, etc., dont chacun peut user sans
faire tort à autrui. Le corps humain, en effet, est composé d’un très grand
nombre de parties de nature différente, qui ont continuellement besoin d’une
alimentation nouvelle et variée, afin que le corps dans sa totalité soit
également apte à tout ce qui peut suivre de sa nature, et par conséquent que
l’esprit soit aussi également apte à comprendre plusieurs choses à la fois.
C’est pourquoi cette ordonnance de la vie est parfaitement d’accord et avec nos
principes et avec la pratique (proxi)
commune ; aussi, s’il existe d’autres manières de vivre, celle-ci est de
toute façon la meilleure et la plus recommandable ; et il n’est pas besoin
de traiter ce sujet plus clairement ni plus amplement. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
311-312)
« Qui vit sous la conduite de la Raison s’efforce, autant qu’il
peut, de compenser par l’amour – autrement dit par la générosité – la haine, la
colère, le mépris, etc., d’un autre envers lui. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
312)
« Qui veut venger l’offense (injurias)
en rendant la haine, vit à coup sûr malheureux. Qui, au contraire, s’applique à
vaincre la haine par l’amour, combat assurément joyeux et assuré, résiste aussi
facilement à un seul homme qu’à plusieurs et a besoin du minimum de secours de
la fortune. Quant à ceux qu’il vainc, ils cèdent avec joie, non certes par
manque, mais par accroissement de force. Et tout cela suit si clairement des
seules définitions de l’amour et de l’entendement, qu’il n’est pas besoin de le
démontrer spécialement. » Spinoza (in L’Éthique,
De la servitude humaine, p. 312)
« […] la pitié est une tristesse ; et donc elle est mauvaise
par elle-même. Quant au bien qui en résulte, à savoir que nous nous efforçons
de délivrer de son malheur l’homme dont nous avons pitié, c’est par le seul
commandement de la Raison que nous désirons le faire, et ce n’est que par le
seul commandement de la Raison que nous pouvons faire quelque chose que nous
savons avec certitude être bon. Et par conséquent la pitié chez l’homme qui vit
sous la conduite de la Raison est par elle-même mauvaise et inutile. »
Spinoza (in L’Éthique, De la
servitude humaine, p. 314)
« Qui sait parfaitement que toutes choses suivent de la nécessité
de la nature divine et arrivent selon les lois et les règles éternelles de la
Nature, ne trouvera certes rien qui mérite haine, raillerie ou mépris, et il
n’aura non plus pitié de personne ; mais, autant que le permet l’humaine
vertu, il s’efforcera de bien faire (bene
agere), comme on dit, et d’être dans la joie (laetari). A cela s’ajoute que celui qui est facilement apitoyé et
qui est ému par le malheur ou les larmes d’autrui, fait souvent des choses dont
il se repent plus tard : tant parce que nous ne faisons par sentiment rien
que nous sachions avec certitude être bon, que parce que nous sommes facilement
trompés par de fausses larmes. Et je parle expressément ici de l’homme qui vit
sous la conduite de la Raison. Car, qui n’est poussé ni par la Raison ni par la
pitié à être secourable aux autres, on l’appelle justement inhumain, car il
paraît ne pas être semblable à l’homme. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p. 315)
« Comme les hommes vivent rarement d’après le commandement de la
Raison, ces deux sentiments, l’humilité et le repentir, et aussi l’espoir et la
crainte, procurent plus d’avantage que d’inconvénient ; et par conséquent,
puisqu’il faut commettre la faute mieux vaut le faire dans ce sens. Car si les
hommes à l’âme impuissante (animo
impotentes) étaient tous également orgueilleux, n’avaient honte de rien et
ne craignaient rien, quels liens pourraient les unir et contenir ? La foule
a de quoi terrifier à moins qu’elle ne craigne. Aussi n’est-il pas étonnant que
les Prophètes, préoccupés non de l’utilité d’un petit nombre mais de l’utilité
commune, aient tant recommandé l’humilité, le repentir et le respect. Et en
vérité, ceux qui sont soumis à ces sentiments peuvent bien mieux que les autres
êtres amenés à vivre enfin sous la conduite de la Raison, c’est-à-dire à être
libres et à jouir (fruantur) de la
vie des bienheureux (beatorum). »
Spinoza (in L’Éthique, De la
servitude humaine, p. 318)
« Le suprême orgueil ou la suprême dépréciation de soi sont le
signe de la suprême impuissance de l’âme. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
319)
« L’orgueilleux aime la présence des parasites ou des flatteurs,
mais il hait celle des âmes généreuses (generosorum). »
(in L’Éthique, De la servitude
humaine, p. 320)
« L’orgueil est la joie qui naît de ce que l’homme a de soi une
meilleure opinion qu’il n’est juste ; et l’homme orgueilleux s’efforcera,
autant qu’il peut, de favoriser cette opinion ; ainsi les orgueilleux
aimeront la présence des parasites ou des flatteurs, et fuiront celle des âmes
généreuses, qui ont d’eux l’opinion qui est juste. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
320)
« Qui est conduit par la crainte et fait le bien pour éviter le
mal, n’est pas conduit par la Raison. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p. 327)
« Les superstitieux, qui savent reprocher les vices plutôt
qu’enseigner les vertus, et qui s’appliquent non à conduire les hommes par la
Raison, mais à les contenir par la crainte pour qu’ils fuient le mal plutôt que
d’aimer les vertus, ne tendent à rien d’autre qu’à rendre les autres aussi
malheureux qu’eux-mêmes ; aussi n’est-il pas étonnant que le plus souvent
ils soient insupportables et odieux aux hommes. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
328)
« […] Le malade, par peur (timore)
de la mort, avale ce qui lui déplait (aversatur),
le bien portant au contraire prend plaisir à la nourriture et jouit ainsi de la
vie mieux que s’il craignait la mort et désirait (cuperet) l’éviter directement. De même, un juge qui, non par haine
ou par colère, etc., mais par le seul amour du salut public, condamne à mort un
accusé, est conduit par la seule Raison. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
329)
« Un bien qui nous empêche de jouir d’un plus grand bien est en
réalité un mal ; car bon et mauvais se disent des choses en tant que nous
les comparons entre elles ; et (pour la même raison) un moindre mal est en
réalité un bien. C’est pourquoi, sous la conduite de la Raison, nous désirerons
(appetemus) ou (seu) rechercherons seulement un plus grand bien et un moindre
mal. » Spinoza (in L’Éthique, De
la servitude humaine, p. 329-330)
« Sous la conduite de la Raison, nous désirerons (appetemus) un moindre mal présent qui
est cause d’un plus grand bien futur, et nous négligerons un moindre bien
présent qui est cause d’un plus grand mal futur. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
330)
« L’homme libre ne pense à rien moins qu’à la mort, et sa sagesse
est une méditation non de la mort, mais de la vie. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
331)
« L’homme libre, c’est-à-dire celui qui vit selon le seul
commandement de la Raison, n’est pas conduit par la crainte de la mort, mais
désire le bien directement, c’est-à-dire qu’il désire agir, vivre, conserver
son être selon le principe qu’il faut chercher l’utile qui nous est propre. Et
par conséquent il ne pense à rien moins qu’à la mort ; mais sa sagesse est
une méditation de la vie. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p. 331)
« Si les hommes naissaient libres, ils ne formeraient aucun
concept du bien et du mal, aussi longtemps qu’ils seraient libres. »
Spinoza (in L’Éthique, De la
servitude humaine, p. 331)
« J’ai dit qu’est libre celui qui est conduit par la Raison seule.
C’est pourquoi celui qui naît libre, et demeure libre, n’a que des idées
adéquates ; et par suite il n’a aucun concept du mal et par conséquent
(car le bien et le mal sont corrélatifs) du bien non plus. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
332)
« […] Au cas où un homme pourrait se délivrer par mauvaise foi
d’un danger actuel de mort, est-ce que la norme (ratio) “conserver son être” ne lui conseille pas sans restriction
d’être de mauvaise foi ? On répondra de la même façon : Si la Raison
lui conseille cette conduite, elle le conseille donc à tous les hommes, et par
conséquent la Raison conseille sans restriction aux hommes de ne conclure
d’accords entre eux, pour unir leurs forces, et établir des droits communs, que
par fourberie, c’est-à-dire pour n’avoir pas en réalité de droits communs, ce
qui est absurde. » Spinoza (in L’Éthique,
De la servitude humaine, p. 335-336)
« L’homme qui est conduit par la Raison n’est pas conduit par la
crainte à obéir ; mais en tant qu’il s’efforce de conserver son être selon
le commandement de la Raison, c’est-à-dire en tant qu’il s’efforce de vivre
librement, il désire observer la règle (rationem)
de la vie et de l’utilité communes, et par conséquent vivre selon le décret
commun de l’Etat. Donc l’homme qui est conduit par la Raison désire, pour vivre
plus librement, observer les lois (jura communia) de l’Etat. » Spinoza (in
L’Éthique, De la servitude humaine,
p. 336)
« […] la fin dernière de l’homme qui est conduit par la Raison,
c’est-à-dire le suprême désir, qui lui permet de régler tous les autres, est
celui qui le porte à se concevoir de façon adéquate, lui-même et toutes les
choses qui peuvent tomber sous son intelligence (sub ipsius intelligentiam). » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p. 338)
« Il n’est donc pas de vie raisonnable sans intelligence, et les
choses sont bonnes dans la seule mesure où elles aident l’homme à jouir de la
vie de l’esprit (mentis vita), qui se
définit par l’intelligence. Celles au contraire qui empêchent l’homme de
parfaire sa Raison et de jouir d’une vie raisonnable, nous disons qu’elles
seules sont mauvaises. » Spinoza (in L’Éthique,
De la servitude humaine, p. 339)
« […] les âmes (animi)
ne sont pas vaincues par les armes, mais par l’amour et la générosité. »
Spinoza (in L’Éthique, De la
servitude humaine, p. 340)
« […] bien que l’indignation prenne l’apparence de l’équité, on
vit cependant sans loi là où il est permis à chacun de juger les actes d’autrui
et de venger son droit ou celui d’autrui. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p.
344)
« La modestie (modestia),
c’est-à-dire le désir de plaire aux hommes qui est déterminé par la Raison, se
rapporte à la moralité. Mais si elle naît d’un sentiment, elle est l’ambition,
autrement dit un désir par lequel les hommes, sous couleur de moralité,
provoquent la plupart du temps des discordes et des séditions. Car celui qui
désire aider les autres par son conseil ou dans l’action, afin de jouir
ensemble du souverain bien, s’appliquera avant tout à gagner leur amour, et non
à se faire admirer pour qu’une doctrine porte son nom, ni, de façon générale, à
leur offrir aucune cause d’envie. D’autre part, dans les conversations, il
évitera de rappeler les vices des hommes et aura le souci de ne parler qu’avec
ménagement de l’impuissance humaine, mais amplement de la vertu ou de la
puissance de l’homme ; il dira par quelle voie elle peut se parfaire :
de façon que les hommes, non par crainte ou aversion, mais poussés par le seul
sentiment de joie, s’efforcent, autant qu’ils ont de puissance en eux, de vivre
selon le précepte de la Raison. » Spinoza (in L’Éthique, De la servitude humaine, p. 344)
« Puisqu’il n’y a rien d’où ne suive quelque effet, et que tout ce
qui suit d’une idée qui est adéquate en nous, nous le comprenons clairement et
distinctement, chacun a le pouvoir de se comprendre, soi-même et ses
sentiments, clairement et distinctement, sinon absolument, du moins en partie,
et par conséquent de faire qu’il soit moins passif dans ces sentiments. C’est
donc à cela surtout que nous devons apporter nos soins, à connaître chaque
sentiment, autant qu’il est possible, clairement et distinctement, afin
qu’ainsi l’esprit soit déterminé par le sentiment à penser ce qu’il perçoit
clairement et distinctement et en quoi il trouve pleine satisfaction ; et
par conséquent, afin que le sentiment même soit séparé de la pensée d’une cause
extérieure et associé à des pensées vraies. Alors non seulement l’amour, la
haine, etc., seront détruits mais aussi l’appétit ou les désirs, qui naissent
d’ordinaire d’un tel sentiment, ne pourront plus être excessifs. » Spinoza (in L’Éthique, De la puissance de l’entendement,
p. 356-357)
« Plus cette connaissance – que les choses sont nécessaires –
s’applique aux choses singulières que nous imaginons plus distinctement et plus
vivement, plus grande est la puissance de l’esprit sur les sentiments, ce
qu’apprend aussi l’expérience même. Nous voyons, en effet, que la tristesse de
perdre quelque bien s’adoucit, sitôt que l’homme qui a perdu ce bien considère
qu’il n’aurait pu être conservé d’aucune façon. De même encore nous voyons que
personne n’a pitié d’un petit enfant, parce qu’il ne sait pas parler, marcher,
raisonner, et qu’il vit tant d’années presque sans avoir conscience de
lui-même. Mais si la plupart naissaient adultes, et un ou deux, petits enfants,
alors on aurait pitié des enfants, parce qu’on considérerait alors l’enfance
non comme une chose naturelle et nécessaire, mais comme un vice ou une faute de
la Nature. Et nous pourrions faire plusieurs autres remarques de cette
sorte. » Spinoza (in L’Éthique,
De la puissance de l’entendement, p. 359)
« Plus nous comprenons les choses singulières, plus nous
comprenons Dieu. » Spinoza (in L’Éthique,
De la puissance de l’entendement, p. 373)
« […] la mort est d’autant moins nuisible que l’esprit a une plus
grande connaissance claire et distincte, et par conséquent que l’esprit aime
Dieu davantage. En outre, comme du troisième genre de connaissance naît la plus
grande satisfaction qui soit possible, il s’ensuit que l’esprit humain peut
être de nature telle que ce que nous avons montré qui en périt avec le corps ne
soit d’aucune importance au regard de ce qui en subsiste. » Spinoza (in L’Éthique, De la puissance de
l’entendement, p. 383)
« […] tout ce qui est précieux est aussi difficile que
rare. » Spinoza (in L’Éthique,
De la puissance de l’entendement, p. 388)
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Portrait de Baruch de Spinoza, 1665 |