jeudi 24 septembre 2015

Visage de sel

Thibault Marconnet, Vitesse du temps, été 2014 (Noirmoutier)


L’océan fait un bruit de gifles sur le sable. La plage est une jeune fille nue battue par l’eau salée. Comme le soir descend, elle attendra la marée qui reflue en arrière, aspirée par l’horizon, pour que cessent les folles claques sur sa peau brune. Le vent, comme toujours, ne voudra rien entendre, sourd à toute prière.
Je suis face à l’ancestrale nourrice. Sorti du ventre grondant de l’eau, j’en garde pour témoignage ma peau de mammifère marin, mes larmes de sel contenues, ma nostalgie d’ancien noyé, mon âme aquatique et ce cri du sang qui gueule par ma bouche : « Mer, pourquoi m’as-tu enfanté ? » Tout à son va-et-vient sonore, elle ne répondra rien et me laissera aussi vide et inutile qu’un coquillage abandonné.
Mon corps est plus dur que du bois vert et je vais ainsi qu’une vague statue de sel qui peut à peine marcher. La souffrance est là dans chacun de mes os. D’où vient-elle ? Nul que je ne puisse blâmer. J’ai choisi moi-même le bois de ma croix et l’ai confectionnée de mes propres mains.
À présent, je la porte sur mes épaules ainsi qu’un esclave consentant. « Mais décloue-toi donc ! » que je me dis. « Que cela cesse enfin ! »
L’eau du Jourdain contenait déjà dans son onde l’avant-goût du supplice.
Quelle mer me baptisera le front d’une croix de sel ? Les gifles continuent de claquer sur la joue brûlée du sable.
« Pleure donc, mon pauvre enfant. Vide-toi de ton mal. » Ainsi semble me parler l’océan. Mais je ne l’écoute déjà plus : je suis reparti avec ma peine sur le dos. Un jour peut-être jetterai-je tout ça à l’eau. Pauvre feuille blanche que je suis, les mots sont mes stigmates. Comme une bouteille à la mer, le jour où j’aurais pu me déclouer on verra ma vieille croix flotter face au visage de sel qui trône sur toute l’eau du ciel.
Je serais alors redevenu innocent, béni de soleil de sable et d’océan.


Thibault Marconnet, Soleil et marais salants, été 2014 (Noirmoutier)


© Thibault Marconnet

Écrit à Noirmoutier, le 31 juillet 2014


Thibault Marconnet, Soleil englouti par le sel, été 2014 (Noirmoutier)

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