Camille Corot, L'Étoile du berger, 1864 |
Les
feuilles des oliviers frémissaient comme des pièces d’argent dans la brise du
soir, les hauts cyprès se découpaient sur un ciel de pleine lune ainsi que des
veilleurs immobiles ; et un parfum de jeune vigne se répandait dans la
verte Toscane. La ville de San Gimignano bruissait de mille sons : parlers
chantants des habitants, résonance des pavés, abois de chiens, cris d’amour des
chats en rut ; et chants nocturnes des moines dans la vieille église aux
vitraux à demi éclairés par quelques cierges, dont la fumée noircissait les
murs. En cette heure vespérale, Castagno, le poète, cheminait sur une colline
avoisinante, égrenant des vers dans sa tête comme d’autres des chapelets au
bout de leurs doigts raides.
Aux
abords de cette ville chrétienne, Castagno gardait ses distances car, n’étant
pas croyant, il savait trop bien à quel danger il s’exposait dans cette Toscane
du XVIe siècle, où ses poèmes licencieux étaient mal vus par le pouvoir
ecclésiastique.
« Qu’ils
chantent donc pour leur crucifié ! disait Castagno dans son for intérieur.
Lorsque les inquisiteurs allument des bûchers, ils ne pleurent pas sur les
hommes dont ils brûlent la chair en toute impunité au nom même de celui qu’ils
adorent. Et moi qui ai le malheur d’écrire des poésies sur la prodigieuse
nature, sans jamais parler de leur dieu, ils me feraient payer cher ma présence
en ces lieux. Païen ! hérétique ! j’en ai assez entendu comme cela. »
Ce
disant, il but une rasade de Carmignano, ce vin toscan fort réputé pour son
arôme et son ancienneté. À la lueur de la lune, Castagno sortit des feuillets
de son vieux sac de voyage, installa sa plume et son encrier près de lui et,
assis dans l’herbe, se mit à écrire :
« Le
vin des hommes
C’est
le sang répandu
Au
pied des étoiles
Par
les inquisiteurs de Rome
L’herbe
rouge veut son dû
Et
face aux cadavres les yeux se voilent
Moi
je chante la nature
Avec
l’âme païenne de ma lyre
Car
seule l’énergie des pensées
A
vertu d’élargir l’azur
Et
de célébrer la beauté du délire
Lune
pleine comme le pain rond de mon village
Je
te salue, sœur de lait de la nuit
Femme
au généreux corsage
Dans
mon cœur déraciné
Ta
lumière blanche est un fruit. »
Après
avoir écrit ces vers, Castagno se sentit en paix avec l’univers. Il mit son sac
sur ses épaules, écouta avec un vague sourire les derniers chants des moines
dont le son se perdait dans la nature. L’âme de Castagno était rouge comme le
vin de Carmignano dont le feu réchauffait sa poitrine. Il prit son bâton de
pèlerin sans dieu, de poète païen, et marcha longtemps dans la lumière laiteuse
comme un enfant boit à longs traits au sein de sa mère.
© Thibault Marconnet
le 25 septembre 2015
Camille Corot, Souvenir de Toscane, eau-forte, 1845 |
Pas plus que le poète, l'humanité a-t-elle besoin de quelconque dieu ?
RépondreSupprimerSalut Keith !
RépondreSupprimerPour parler franchement, je pense que l'humanité n'a pas besoin d'un quelconque dieu. Quand on voit le nombre de tueries commises au nom d'un hypothétique “dieu”, je me dis que c'est une invention assez sotte. À mon sens, l'être humain s'est créé des dieux - ensuite un "Dieu" unique - pour affronter avant tout sa peur d'être libre. Car, au fond, c'est cette liberté qui nous effraie le plus : ces questions sans réponses qui nous sont prodiguées par la nature. Or, l'homme religieux est un ennemi acharné de la nature et c'est pourquoi il préfère se soumettre à un dieu de chimère plutôt que d'accepter simplement sa présence au monde. Nous cherchons à donner du sens à notre existence mais n'est-ce pas déjà merveilleux que de la vivre ? Comme l'écrivait Dostoïevski : "Avant de chercher un sens à la vie, aime la vie. Si tu aimes la vie, tu deviens un vivant." Les dieux que l'homme invente ne sont qu'un prétexte pour légitimer l'asservissement que certains font peser sur autrui, le tout au nom d'une force "supérieure" dont ils se croient les dépositaires alors même qu'ils ne songent qu'à assouvir leur soif de pouvoir et d'anéantissement.
Merci pour ton commentaire.
Amicalement,
Thibault