Roman
sépulcral et désespéré, Lauve le pur
est une véritable plongée dans le ventre noir et gargouillant de la Capitale –
et tout autant dans les entrailles malmenées de Lauve, cet homme perdu qui marche
dans Paris sans compagnons, couvert de ses propres excréments : de cela
qu’il n’a pu retenir et qui, dans le métro où cet improbable hommage fut rendu
à ses semblables, le désigne à être un paria de plus, exilé dans le fruit puant
de ses intestins : faible îlot de chair dérivant au cœur de cette nuit
parisienne dont les néons criards rappellent à s'y méprendre le fard dégoulinant
des vieilles putes sans âge.
Dans
les villes, la nuit n'existe plus, elle a été mise à l'index par tous les
inquisiteurs de “l’immédiat”, de “l’actuel” : fantômes d’individus qui
défendent à cor et à cri le faux, le creux, le toc, les lumières artificielles.
Dans ce désert des âmes, Lauve ira seul au plus loin de ses propres ténèbres,
éclairé par quelques réverbères qui promènent sur le bitume leur pâle halo de
cendres.
Richard
Millet nous parle des humbles avec ce qu'il y faut de douceur et de franche
rudesse, se faisant le loyal scribe de tous ces êtres que la vie moderne a
mutilés par le langage mort qui règne à présent sur toutes choses, dans le vide
croissant qui se repaît de chacun ainsi qu'une araignée de mouches ; au
cœur enfin de cette prodigieuse bassesse qui proclame tranquillement la haine de
toute grandeur.
Cette
société n'oblige pas seulement les anciens paysans à “vendre les prés” ainsi
que le chante Jean-Louis Murat, mais elle incite tout autant à vendre son âme
au veau d'or du médiocre et de la saleté (celle-là même que l’on cache
honteusement derrière les cache-misères que sont les réclames publicitaires).
Lauve
le pur, ce nom à la fois lisse et rugueux m’évoque une lave endormie au sein de
puys auvergnats. L’Auvergne et le Limousin ont d’ailleurs longtemps charrié
dans la grisaille de Paris des tombereaux d’hommes besogneux, hâves et
fatigués, brisés par le travail des champs, exilés dans cette métropole
inconnue qui les repousse sans cesse ainsi que le ferait une vieille fille qui
tient à conserver sa virginité pour les vers. Comme seule et maigre
consolation, les lèvres usées de ces exclus s’écorchent tant et plus sur des
goulots brisés de bouteilles d’alcool.
Héritier
de l’exode rural, Lauve suivra l’errance de ses ancêtres. Son
sacerdoce consistera à faire résonner dans des salles de classes toujours
plus bruyantes le verbe des grands écrivains français afin d’attiser le feu
vivant de leurs œuvres et témoigner de cela qui agrandit l’âme. Mais face à ses
élèves, Lauve est contraint à professer dans un vide abyssal.
Lauve
le pur a grandi dans les vents qui fouettent les genêts et les tourbières du plateau
de Millevaches. En cela, il demeure un enfant de la terre acide, des sources
ancestrales, de la solitude boisée des origines.
Tel
un paysan déchu aux doigts tachés d’encre, Lauve ne laboure pas la terre mais il
tient ouverts entre ses paumes des oiseaux de papiers ; et son regard n’a
de cesse de creuser plus profond dans le limon noir des mots à la recherche
d’une pureté perdue. Comme si les livres étaient de grands draps encore humides
que des lavandières viennent tout juste de laver à grande eau.
Dans
son exil parmi les fumées de théâtre de la Ville Lumière, Lauve tombera dans le
caniveau qui attend toutes les âmes fragiles. Mais avant de chuter et d’être
englouti dans le gargouillis des eaux sales, il aura su tutoyer les étoiles, il
aura lavé son nom dans la gloire des insoumis.
© Thibault Marconnet
05/08/2014
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire