Thibault Marconnet, Minotaure doré, 2013 |
Simon
a marché toute la nuit dans une épaisse forêt ainsi qu’un somnambule, le visage
battu de pluie et de vent. Il fallait qu’il sorte, qu’il fuie.
Quoi donc ? Cela, l’enfant ne le sait pas. Son cœur était trop lourd,
il fallait qu’il batte la campagne pour s’alléger dans la marche, pour frotter
son être aux éléments tourmentés. Le jour n’est pas encore levé et Simon, guidé
par son instinct chemine vers le soleil.
Depuis
les hautes frondaisons chargées d’eau, de grosses gouttes visqueuses viennent
s’abattre sur ses épaules nues : la pluie est une mue de serpent qui
recouvre son corps. En marchant sur un tapis de feuilles mortes, Simon sent le
sol se dérober et il tombe violemment dans un trou, s’écorchant les mains dans
sa chute. Il est dans un puits à moitié asséché : ses doigts errent sur la
roche encore humide. L’eau rare et les feuilles pourries qui demeuraient au
fond, ont atténué le choc. Au fond du puits, Simon voit une lueur squelettique
émaner de la pierre, à peine plus grosse qu’un ver luisant. Un grincement joint
sa voix à celle de la tempête et une anfractuosité s’entrouvre alors au sein de
la paroi moussue. Prisonnier de cette bouche de pierre creusée dans la terre,
Simon décide d’aller vers la faible lumière malgré la peur qui lui déchire le
ventre.
Des
torches pendues aux murs éclairent un long couloir. L’enfant pénètre dans
l’inconnu. Des rats couinent à ses pieds : ils grouillent de partout mais
ne mordent pas le jeune égaré, ce nouveau Thésée qui n’a ni épée ni fil d’Ariane
pour tuer le Minotaure qui le guette peut-être au détour d’un boyau pierreux et
sombre. Simon s’empare d’une torche : la flamme en est vacillante, on
dirait qu’elle gémit comme un petit animal blessé. Au bout du couloir,
plusieurs intersections. L’enfant ne sait qu’une chose : il veut marcher
vers le soleil. Sa boussole est dans son âme alors il s’engouffre dans l’un des
nombreux corridors qui lui font face. Sur les murs sont incrustés des fragments
d’or qui luisent au baiser du feu. Une odeur âcre et fétide vient gifler les
narines de Simon. Qu’importe, il s’avance dans la nuit en pèlerin du soleil. Le
sol spongieux est parsemé de champignons noirs qui semblent autant de moines
bénédictins en prière muette au sein de la pénombre. Des chants lointains se
font entendre : un chorus de fantômes sans doute.
Parvenu
à un embranchement, deux passages se présentent à lui. Simon ne sait lequel
choisir. C’est sa vie qui est en jeu. Il se risque à emprunter le boyau de
droite. La roche craque et c’est alors qu’il est propulsé au sol. Lorsqu’il
ouvre péniblement ses yeux, un vieillard nu et malingre se tient voûté devant
lui, l’air mauvais. Ses quelques dents pointues luisent ainsi que des crocs de
bête. Comme un affamé, il se jette sur l’enfant. L’étreinte de son corps osseux
étouffe Simon. Ce vivant squelette le recouvre de toute sa maigreur et commence
à s’effriter puis tombe en poussière. Le petit être veut crier mais sa bouche
est un ballon de colle. La torche tombée de ses mains s’éteint ainsi qu’une
étoile morte et un linceul de silence se dépose sur son corps en fine cendre.
Il ne bouge plus. Le vieillard n’est plus que de la poudre noire, une farine de
ténèbres. L’enfant sent déjà sur ses lèvres la bouche cariée de la mort.
Apparaît
alors un feu follet qui, de sa petite lueur verte, vient éclairer le visage
immobile et bleu de l’enfant : la vie est en train de le quitter. Pour lui
redonner un souffle de vie, le feu follet s’enfouit dans la bouche haletante.
C’est alors que Simon parvient à ouvrir un œil, étire ses bras raidis puis se
relève difficilement : ses membres le font atrocement souffrir. Il sait
que pour vivre, pour tenir allumé en lui le feu de son âme, il doit rebrousser
chemin et prendre l’autre voie, celle de gauche. Ses jambes peinent à le porter
mais il y parvient. Sur son regard se promène une lumière qui grandit au fur et
à mesure de son avancée. Des forces reviennent affluer dans son corps
souffrant. Autour de lui, la roche est friable. Simon donne des coups de poing.
Celle-ci tombe en miettes. Avec rage et ténacité, il réussit à creuser un trou
et c’est à l’air libre qu’il s’extirpe enfin de cette gorge noire. La pluie a
cessé, le vent s’est tu. Les oiseaux ainsi que de jeunes filles en fleurs entament
un chant mélodieux. Une gueule de renard mord la chair blanche du ciel. Simon a
fini son pèlerinage : le soleil est là qui embrasse à présent le corps
sauvé de cet enfant perdu – que la lumière a retrouvé.
© Thibault Marconnet
02/07/2014
Thibault Marconnet, Chambre de lumière, 2013 |
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