jeudi 5 février 2015

Dialogue bestial

La souris Médor avait la particularité de fumer la pipe ; le chat Brutus fumait des Blondes depuis qu’il avait perdu sa brune et le chien Mistigri, quant à lui, tirait sur des barreaux de chaises qui le faisaient tousser à s’en décrocher la mâchoire.
Ces trois compagnons, pas bêtes du tout au demeurant, étaient attablés à la table ronde de leur troquet favori : “La Souricière”.
« Ma, qué pensez-vous dé la pétite poule qui arrive, les amis ? Yé voudrais bien être son coq pour la réveiller aux aurores ! » dit le chat Brutus avec des éclairs lubriques dans le regard, tout en lissant les longues moustaches qui faisaient sa fierté.
Mistigri, comme à son habitude, toussa comme un volcan enrhumé qui s’apprête à éternuer dans une immense éruption.
De sa petite voix de souris, Médor lui dit sentencieusement :
« Mais arrête donc un peu de fumer tes barreaux de chaises, ça pue et puis tu sais bien qu’ça m’indispose ! »
Mistigri le chien lui répondit de sa voix traînante et pâteuse :
« Oh, toi alors… tu vas pas t’y mettre… tu sais bien que j’ai toujours eu un faible pour Fidel Castro…
- Peut-être, m’enfin question choper la gastro, avec ta fumée des enfers on est servi ! » rétorqua Médor de sa voix haut perchée.
« Ma, régardez-moi cette grosse dinde qui s’avance : elle a trop bouffé d’OGM ma parole ! » déclara Brutus avec son franc-parler coutumier.
« Toi et tes histoires de volaille, ça commence à bien faire ! Arrête un peu avec tes noms d’oiseaux, j’suis allergique aux plumes ! » cria Médor.
« Bon, les copains… on va pas s’bouffer le museau pour si peu, voyons… Et si on parlait plutôt affaires ? Demain, j’organise un concours d’humains dans un hangar… place du Pékinois… Faudrait voir à lancer les paris… » annonça le chien Mistigri.
« Moi, yé né peux pas, ces combats d’hommes, ça mé dégoûte… et puis, quoi que yé fasse, yé suis touyours mal placé ! » lança le chat Brutus, d’un air écœuré.
« Ben alors, qu’est-ce donc qui t’arrive, chat Guevara, tu t’mets en dissension ?! Tu sais bien qu’on n’aime pas trop ça nous autres ! » déclara la souris Médor d’un ton menaçant.
« Vous faites cé qué vous voulez, moi yé rendez-vous avec oune belle pétite poupée ! »
Médor, excédé, allait réagir quand le placide Mistigri intervint :
« Laisse tomber, Médor… tu sais bien que Brutus pense qu’à ça… N’empêche, ça va être sanglant demain… Ce serait dommage de rater ça… »
« Et les droits des zhoumains, alors ?  Moi yé dis que cé dé l’esclavage ! »
« Eh, minute mon minet ! Et la traite des poules et dindes en tous genres, c’est une œuvre de bienfaisance, peut-être ?!
- Ma yé né souis absoloument pas d’accord, ça n’a rien à voir ! Si y’aime fourrer des dindes et les faire bosser pour moé, ça mé régarde ! » répliqua Brutus, agacé par ces piques quotidiennes.
« Sérieux les potes… z’êtes graves… on n’est pas là pour s’bouffer les rognons… Viendra qui veut… De toute façon, que vous soyez là ou pas, les humains s’étriperont quand même… c’est une manie chez eux, à croire qu’ils savent faire que ça… » dit le chien Mistigri d’un ton philosophe.
« Yé souis une natoure sensible, moé ! Tou peux faire le coq avec tes combats d’homme, mais y’a pas de quoi fouetter un chat ! »
« Tout doux, mon minou ! Si tu la fermes pas, Brutus, on va finir par t’prendre au mot ! Les hommes aiment se battre, c’est comme ça, et puis nous ça nous rapporte du pognon : tout l’monde est content ! » déclara brutalement Médor de sa voix suraigüe.
Chacun termina solennellement sa conso : lait fraise pour Brutus le chat séducteur, Bourbon pour Mistigri le chien pataud et jus de carottes pour Médor la souris survoltée.
Nos trois compères sortirent de “La Souricière” avec des allures sournoises de voyous et de conjurés qui préparent un bon coup. Après maints sourires et clins d’yeux complices tout en se frottant les pattes, ils finirent par se donner rendez-vous pour le lendemain à la même heure.


© Thibault Marconnet

le 30 janvier 2015

George Bellows, Rencontre de boxe chez Sharkey, 1909

2 commentaires:

  1. Hilarant… et si proche de la réalité !
    Et celui qu'est pas d'accord, j'y mets ma main dans sa tronche !!!!!
    ;-D

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    1. Salut l'ami Keith !
      Merci beaucoup pour ton commentaire. Je me suis bien “poilé” en écrivant ce texte ! :-D
      Et je suis heureux que tu aies pris du plaisir à sa lecture.

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