Thibault Marconnet, Le sable du soleil, 2014 |
Matthieu
était un enfant très curieux, assoiffé de nouvelles découvertes. Il venait
d’avoir dix ans et la question qui le turlupinait le plus était de savoir ce
que cela fait de vieillir. Souvent, il entendait sa grand-mère marmonner en
soupirant : « Ah… c’est pas beau d’vieillir ! »
Ses
parents, quant à eux, formulaient cela différemment. Lorsque sa mère se
regardait dans le miroir, elle faisait souvent la moue disant à voix haute et
pour elle-même :
« C’est
pas vrai ! Encore une ride là ! Et ce cheveu blanc, qui c’est qui l’a
invité ? Mince ! la balance est sûrement détraquée : j’ai pas pu
prendre ces deux kilos ! »
Le
père de Matthieu, quadragénaire à la barbe poivre et sel, semblait moins
préoccupé par ces choses, mais son fils l’avait surpris quelquefois à
l’improviste tapoter son ventre en soupirant comme on essaie de dégonfler un
ballon – bien qu’avec un “ballon” aussi petit, Matthieu eut eu bien du mal à
jouer.
En
somme, la plupart des adultes que connaissait ou rencontrait le petit garçon ne
semblaient pas satisfaits de leur apparence et, bien souvent, une grimace
semblait collée à leurs lèvres.
En
outre, ils n’avaient jamais le temps de jouer avec lui, trouvant toujours mille
excuses pour se dérober à ses sollicitations :
« Non,
Matthieu, pas maintenant ! Tu vois bien qu’je bosse ! » disait
son père d’un ton agacé.
« J’ai
vraiment pas l’temps, mon chou, j’vais être en retard. Et cette saloperie de
rouge à lèvres qui déborde : j’ai l’air d’un clown ! » répondait
sa mère en s’apprêtant en toute hâte devant le miroir de l’entrée.
Matthieu
aurait bien trouvé tout cela amusant, s’il n’avait pas ressenti une tristesse
masquée derrière ces attitudes et ces paroles soupirées.
Une
nuit dans le noir de sa chambre, alors que tous les monstres, fatigués, avaient
fini par s’endormir et le laisser tranquille, Matthieu vit un petit point de
lumière qui se baladait dans la pièce. C’était une luciole. Elle s’approcha du
lit de l’enfant et lui adressa la parole :
« Bonsoir
Matthieu, tu ne dors pas encore ? Pourtant les monstres sont tous
partis. »
Matthieu
avait déjà parlé avec des mouches, une grenouille, son chat, des fourmis alors
une luciole qui parlait, ça n’était pas fait pour l’étonner.
« J’ai
pas sommeil, petite luciole, je pense à tous les grands que je connais :
ils n’ont jamais l’air contents.
-
Oui, Matthieu, ils ont souvent l’impression de traîner la vie derrière eux
comme un boulet au pied du condamné, lui répondit la luciole.
-
Mais pourquoi ? Moi je suis content de grandir et puis c’est beau d’être
en vie, de voir le soleil se lever, d’écouter le flic floc de la pluie sur
l’herbe, de rire… Par contre, j’aime pas avoir mal au ventre, là oui, ça me
donne la même grimace qu’aux grands, dit l’enfant.
-
Tu vois, c’est comme s’ils avaient mal au ventre tous les jours, lui dit la
luciole. Pourtant, c’est idiot, ils ont beaucoup plus d’années à vivre que moi
et ils s’en plaignent comme d’un fardeau. Tu sais, Matthieu, dans quelques
temps je m’éteindrais et pourtant ça ne m’attriste pas. J’aurais brillé de
toute mon ardeur dans le noir comme une petite étoile tombée du ciel, en
profitant de chaque instant qui passe, plus rapide que le vol d’une abeille. À
présent, Matthieu, je vois que tu bâilles, je vais te laisser. Dors bien, petit
bonhomme, et fais de beaux rêves. Je ne serais pas loin à veiller sur ton
sommeil. »
Sur
ces mots, la luciole alla s’installer près de la fenêtre entrouverte d’où
parvenaient les mystérieux bruits de la nuit. À la voir, on aurait dit un petit
feu blanc qui brûlait pour son simple plaisir.
Avant
de s’endormir, Matthieu se dit que les grands seraient bien plus heureux si
seulement ils avaient la foi des lucioles – qui n’ont pas peur de s’éteindre.
©
Thibault Marconnet
le 19 juin 2015
Thibault Marconnet, Le jardin des cerisiers (pastel), juin 2015 |
Jolie petite histoire. Légère comme… une luciole !
RépondreSupprimerJe suis très heureux de savoir que cette histoire t'a plu, cher Keith ! Oui, légère... comme une luciole - qui n'a pas peur de s'éteindre. Merci beaucoup pour ton chaleureux commentaire.
SupprimerTrès beau texte, tellement vrai.
RépondreSupprimerJe crois d'ailleurs que c'est une des fonctions de l'art et de la culture que de nous rappeler en permanence le peu de signification de ce qui vient nous perturber l'esprit, alors qu'il y aurait tellement à jouir de la vie...
Merci de tout coeur, El Norton, pour ton généreux commentaire. En effet, arrivés à l'âge adulte, nous nous encombrons bien souvent de plus de soucis que nous n'en pouvons supporter et notre vie s'alourdit. Face à un tel trop-plein, je me sens de plus en plus proche de la notion de vacuité mise en avant par le Tao. “Agir sans rien attendre” : ce peut être une clef pour nous désencombrer de toutes ces attentes qui nous rongent et nous minent de l'intérieur. Certes, c'est une quête longue et difficile mais qui en vaut la peine pour, comme tu le dis très bien, apprendre à “jouir de la vie”.
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