Photographie prise par mon père |
Dans
la steppe mongole, le vent et la pluie fouettaient le paysage. L’air était
rempli d’eau et le ciel ressemblait à un puits. Koumone s’occupait de ses
chevaux, tandis que ses enfants fêtaient la pure joie d’exister et d’être au
monde.
De
son côté, Alexeï, jeune bourgeois de Saint-Pétersbourg, ouvrait péniblement ses
yeux ensommeillés dans le train brinquebalant qui le conduisait depuis quelques
jours à travers une nature de plus en plus sauvage. Jeune homme au caractère
fougueux, Alexeï sentait monter en lui l’appel de la terre nue. Près de lui,
sur la banquette du wagon un livre de son héros, le grand poète russe
Pouchkine, l’accompagnait dans tous ses déplacements. Maintenant qu’il ouvrait
grand ses yeux dans le compartiment embué où il était seul, sa poitrine se
détendait, semblant s’ouvrir à toutes les métamorphoses possible.
Koumone,
quant à lui, chantait une complainte que la bouche du vent s’empressait
d’avaler. Et sa femme, Poumene, s’occupait de traire une femelle yak. La pluie
gouttait sur l’herbe rase et un maigre soleil déchirait le lourd rideau du ciel
opaque.
Il
faisait bleu dans l’âme de Koumone, son chant diphonique traversait l’air de
part en part. On eût dit une flûte céleste ramassée sur quelque météore, et qui
habitait le corps de cet homme, humble enfant des étoiles.
Dans
les cahots du vieux train, Alexeï, tout à son excitation entreprit l’écriture
d’un poème :
Il
fait rouge
dans
mon âme qui s’ensauvage
et
la vie brûle en moi
ainsi
qu’un alcool céleste
dans
l’alambic des étoiles
Voici
la steppe qui se lève
vieille
femme courbée par le vent
elle
plonge sa bouche
dans
une eau de jouvence
et
la voilà redevenue enfant
Fauve
sans patrie j’ai
brisé la cage
de
ma civilisation trop étroite
Étranger
à tout sauf
à moi-même
je
retourne dans
mon berceau d’herbes folles
me
saouler de pluie m’enivrer
de silence
accomplir
la mue
Je
le sens cette terre est sœur
J’avais
erré longtemps
à
travers les champs lunaires
de
mon être sauvage
Et
voici que je la retrouve
cette
vie en partage
dans
son essence première
Je
libère le feu qui couve en moi
et
ne reviendrais plus sur mes pas
car
l’incendie me transporte
vers
mon ultime métamorphose
Au
loin sur la steppe, le soleil lavant sa peau cuivrée, Koumone chantait en chœur
avec les astres, et sa mélodie ancestrale semblait dire au jeune poète à
travers l’espace :
« Viens,
fils, c’est aujourd’hui que tu rentres chez toi. »
© Thibault Marconnet
le 20 mars 2015
Okna Tsahan Zam - Eejin Duun (Kalmyk Folk Song)
Thibault Marconnet, Épiphanie du Soleil (pastel), juin 2015 |
Encore une bien belle histoire balayée par les vent et dans laquelle on sent un peu de nostalgie
RépondreSupprimerMerci beaucoup, cher Keith, pour ton commentaire qui me va droit au coeur. Cette nostalgie que tu évoques est peut-être celle des grands espaces et de la liberté.
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