samedi 20 juin 2015

Steppe

Photographie prise par mon père


Dans la steppe mongole, le vent et la pluie fouettaient le paysage. L’air était rempli d’eau et le ciel ressemblait à un puits. Koumone s’occupait de ses chevaux, tandis que ses enfants fêtaient la pure joie d’exister et d’être au monde.
De son côté, Alexeï, jeune bourgeois de Saint-Pétersbourg, ouvrait péniblement ses yeux ensommeillés dans le train brinquebalant qui le conduisait depuis quelques jours à travers une nature de plus en plus sauvage. Jeune homme au caractère fougueux, Alexeï sentait monter en lui l’appel de la terre nue. Près de lui, sur la banquette du wagon un livre de son héros, le grand poète russe Pouchkine, l’accompagnait dans tous ses déplacements. Maintenant qu’il ouvrait grand ses yeux dans le compartiment embué où il était seul, sa poitrine se détendait, semblant s’ouvrir à toutes les métamorphoses possible.
Koumone, quant à lui, chantait une complainte que la bouche du vent s’empressait d’avaler. Et sa femme, Poumene, s’occupait de traire une femelle yak. La pluie gouttait sur l’herbe rase et un maigre soleil déchirait le lourd rideau du ciel opaque.
Il faisait bleu dans l’âme de Koumone, son chant diphonique traversait l’air de part en part. On eût dit une flûte céleste ramassée sur quelque météore, et qui habitait le corps de cet homme, humble enfant des étoiles.
Dans les cahots du vieux train, Alexeï, tout à son excitation entreprit l’écriture d’un poème :

Il fait rouge
dans mon âme qui s’ensauvage
et la vie brûle en moi
ainsi qu’un alcool céleste
dans l’alambic des étoiles

Voici la steppe qui se lève
vieille femme courbée par le vent
elle plonge sa bouche
dans une eau de jouvence
et la voilà redevenue enfant

Fauve sans patrie j’ai brisé la cage
de ma civilisation trop étroite
Étranger à tout sauf à moi-même
je retourne dans mon berceau d’herbes folles
me saouler de pluie m’enivrer de silence
accomplir la mue

Je le sens cette terre est sœur
J’avais erré longtemps
à travers les champs lunaires
de mon être sauvage
Et voici que je la retrouve
cette vie en partage
dans son essence première

Je libère le feu qui couve en moi
et ne reviendrais plus sur mes pas
car l’incendie me transporte
vers mon ultime métamorphose

Au loin sur la steppe, le soleil lavant sa peau cuivrée, Koumone chantait en chœur avec les astres, et sa mélodie ancestrale semblait dire au jeune poète à travers l’espace :
« Viens, fils, c’est aujourd’hui que tu rentres chez toi. »


© Thibault Marconnet

le 20 mars 2015

Okna Tsahan Zam - Eejin Duun (Kalmyk Folk Song)



Thibault Marconnet, Épiphanie du Soleil (pastel), juin 2015

2 commentaires:

  1. Encore une bien belle histoire balayée par les vent et dans laquelle on sent un peu de nostalgie

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    1. Merci beaucoup, cher Keith, pour ton commentaire qui me va droit au coeur. Cette nostalgie que tu évoques est peut-être celle des grands espaces et de la liberté.

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