Gustave Courbet, Renard dans la neige, 1860 |
Un
lynx affamé errait dans la montagne depuis des jours sans trouver sa pitance.
C’était le plein cœur de l’hiver ; un hiver particulièrement rude. Notre
lynx avait pour nom Tarkesh et, sa vue étant d’une grande acuité, il ne manqua
pas de voir qu’une avalanche se préparait. L’air sifflait, la neige remuait et
les poils de Tarkesh étaient en alerte.
Il
courut pour s’éloigner de ce lieu dangereux et vit le panneau “Risque
d’avalanche”. Car, bien que cela soit peu connu, les animaux ont, eux aussi,
leurs panneaux de signalisation - fort pratiques comme nous l’allons voir !
Tarkesh emprunta rapidement un chemin sous les arbres lorsque l’ours Grignou
lui fit face.
« Salut
Tarkesh, y’en a une grosse qui s’prépare mais ici c’est une voie sans
issue : je l’sais, j’en r’viens.
-
Bien l’bonjour à toi, Grignou. Tu m’pardonneras de t’dire ça, mais t’as une
haleine de phoque aujourd’hui.
-
Je sais, m’en parle pas Tarkesh, hier j’ai bouffé un blaireau tellement j’avais
faim. Alors, forcément, tu penses bien si ça pue ces bêtes-là ! C’est
simple, j’arrive plus à m’sentir.
-
Et moi j’me suis rien mis sous les crocs depuis une semaine, ça peut plus
durer ! » vociféra Tarkesh.
À
cet instant parut Filoux, le renard, qui tenait un corbeau mort dans sa gueule.
Il le posa à terre.
« Salut
les potes ! Regardez un peu c’que j’ai trouvé ! Quel abruti c’piaf, y
m’a pris pour un manche : y voulait
me r’filer un camembert pourri en échange de la vie sauve. J’ai laissé
l’frometon à Grignette et Rosie, vous savez, les deux hermines qui crèchent
près d’l’arbre mort : elles se sont régalées !
-
Mais comment t’as pu l’attraper c’corbac ? demandèrent d’une seule voix Tarkesh et Grignou que la faim tenaillait.
-
C’est simple comme bonjour, merci, circulez y’a rien à voir ! J’lui ai fait savoir qu’il était sur un
stationnement interdit. “La fontaine, ça coule de source !” qui m’dit.
C’t’empaffé, il a voulu m’voler dans les plumes, mais j’ai sorti ma carte
d’animal forestier. Là, le zouave, il a plus moufté. Sous l’coup d’la surprise,
il en a lâché son fromage puant et il est tombé avec son camembert droit dans
ma gueule, en sens unique ! Ah ! y’a pas à dire, les gars, la
signalisation ça a du bon ! »
C’est
alors qu’une harde de bouquetins déboula à toute allure.
« Cédez
le passage ! » hurla leur chef Biquet.
Tarkesh,
Grignou et Filoux s’écartèrent rapidement car, se faire écraser par un troupeau
de bouquetins, c’est c’qui s’appelle mal commencer la saison !
« -
Ah les cons ! s’esclaffa Grignou. Y z’ont même pas vus l’panneau
“Brouillard fréquent” ! Et puis après tout on s’en fout, tant pis pour
eux ! »
Nos
trois camarades firent une bouchée du corbeau, fronçant le museau à cause de
l’odeur du camembert. Rien à faire : ils avaient encore une faim de loup.
D’ailleurs,
quand on parle de lui, ce frimeur arrive aussitôt, il ne peut pas s’en
empêcher. Rojax, le loup, fit donc son apparition.
« Salut
les gars ! Alors comme ça, vous aussi vous crevez la dalle ?
Suivez-moi : malgré toute cette neige, j’ai enfin trouvé l’panneau
“Attention passage d’animaux sauvages”. Y sortent pas beaucoup en c’te période
mais j’ai r’péré quelques bêtes isolées. »
Nos
quatre compères se mirent à l’affût à l’endroit indiqué.
Un
vieux monsieur maigre comme un brin d’herbe arriva.
« Y
doit pas être bien bon à becqu’ter çui-là ! » grogna Tarkesh.
« M’en
fous, j’ai faim ! gronda Grignou. Certes, j’ai d’jà vu d’autres animaux d’son
espèce plus dodus mais y f’ra bien l’affaire ! »
C’était
jour de chance pour nos quatre affamés, car un homme, une femme et leurs
enfants suivaient le vieil homme à quelques mètres seulement. Tarkesh, Grignou,
Filoux et Rojax se jetèrent sur leurs proies, toutes babines retroussées, et
firent un festin de roi. Y’a pas à dire, c’est quand même bien beau la
signalisation quand il gèle à pierre fendre et qu’un joli panneau indique le
gibier ! “La fin de toutes les interdictions” ne signifie pas
“l’interdiction de la faim”. Ventre affamé n’a point d’oreilles. Souhaitons
donc bon appétit à nos quatre convives. Et vive le code de la
croûte !
© Thibault Marconnet
le 12 juin 2015
Qui c'est qui va s'faire croquer tout cru ? |
Tudiou, moi aussi j'me taperais bien un steak de vieux !!!!!
RépondreSupprimerComme je te comprends, cher Keith ! D'ailleurs, il me semble qu'on mésestime et dédaigne trop les vieilles carnes.
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