Jean Amrouche en burnous, assis à côté d'un phonographe |
A Paul Gauthier.
Aurai-je le temps d’écrire et de pleurer,
Aurai-je la vie de l’âme et le temps de créer,
Aurai-je encore la force d’agir et de donner ?
Ma jeunesse ivre de sang et d’eau,
Toute forte et trempée des larmes de mon corps
Saura-t-elle fendre le temps
Pour dormir dans l’Eternité ?
O terre,
Voudrais-tu, avant la mort du corps,
Mon âme glorifiée dans l’Esprit,
Sceller ma joue en fleur à ta lèvre glacée ?
Tes bras se tendront-ils demain,
Tes bras d’amante délaissée,
Dans la nuit dense où la chair meurt dans la chair consolée ?
Non, Terre !
Je ne veux pas me coucher dans ta couche.
Mon âme est la sœur des étoiles qui dansent sur la nuit.
Mon cœur est plein de sang qui brûle et roule une mer de désirs ;
Mon cœur est plein de larmes et de sel
Et toute l’eau du ciel
Ne tuera pas la soif qui me consume.
Viens, Nuit,
Ensevelisseuse aux doigts doux et frais comme une sœur
Nuit qui berces, et promènes des caresses d’amante
Sur mon front brûlé.
Dormir, noyé, sur un lit d’algues couleur de mer,
Fondre dans la nuit simple ma chair qui pleure
Et mon âme démente,
Comme un enfant blessé.
Jean El-Mouhoub Amrouche
Radès, 5 novembre 1928
(in Cendres : poèmes (1928-1934), Écritures arabes, L'Harmattan, 1983, 228 pages)
Jean Amrouche, “cet inconnu” (1906-1962) : Une vie, une oeuvre (2011 / France Culture) :
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