« Aucun
vin n’est aussi terrestre que le rouge vin de Bourgogne ; dans le reflet
blanc de la neige, il avait la couleur de la terre, cette couleur pourpre et or
des collines de la Côte-d’Or au coucher du soleil. Son souffle était profond,
parfumé d’herbes et de feuilles comme un soir d’été bourguignon. Et aucun vin n’accompagne
aussi intimement l’approche du soir que le vin de Nuits-Saint-Georges, n’est
autant l’ami de la nuit que le vin de Nuits-Saint-Georges, nocturne jusque dans
son nom, profond et semé d’éclairs comme une nuit d’été en Bourgogne. Il brille
d’un éclat sanglant au seuil de la nuit comme, au bord cristallin de l’horizon,
le feu du couchant. Il allume des lueurs rouges et bleues dans la terre couleur
de pourpre, dans l’herbe et dans les feuilles d’arbres, encore chaudes des
saveurs et des arômes du soleil mourant. Les bêtes sauvages, à la tombée de la
nuit, s’acagnardent profondément dans la terre, le sanglier rentre dans sa
bauge avec des claquements précipités de branchages, le faisan au vol court et
silencieux nage dans l’ombre qui déjà flotte au-dessus des bois et des prés, le
lièvre agile se laisse glisser sur le premier rayon de la lune comme sur une
corde raide d’argent. C’est là l’heure du vin de Bourgogne.
À
ce moment-là, par cette nuit d’hiver, dans cette pièce éclairée du lugubre
reflet de la neige, l’odeur profonde du Nuits-Saint-Georges nous rappelait le
souvenir des soirées d’été en Bourgogne, des nuits endormies sur une terre
encore chaude de soleil. »
Curzio
Malaparte
(in
Kaputt, p. 300-301, Folio/Gallimard, traduction de l’italien par Juliette
Bertrand)
Curzio Malaparte (1898-1957) |
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