mercredi 13 avril 2016

Curzio Malaparte et le vin de Bourgogne



« Aucun vin n’est aussi terrestre que le rouge vin de Bourgogne ; dans le reflet blanc de la neige, il avait la couleur de la terre, cette couleur pourpre et or des collines de la Côte-d’Or au coucher du soleil. Son souffle était profond, parfumé d’herbes et de feuilles comme un soir d’été bourguignon. Et aucun vin n’accompagne aussi intimement l’approche du soir que le vin de Nuits-Saint-Georges, n’est autant l’ami de la nuit que le vin de Nuits-Saint-Georges, nocturne jusque dans son nom, profond et semé d’éclairs comme une nuit d’été en Bourgogne. Il brille d’un éclat sanglant au seuil de la nuit comme, au bord cristallin de l’horizon, le feu du couchant. Il allume des lueurs rouges et bleues dans la terre couleur de pourpre, dans l’herbe et dans les feuilles d’arbres, encore chaudes des saveurs et des arômes du soleil mourant. Les bêtes sauvages, à la tombée de la nuit, s’acagnardent profondément dans la terre, le sanglier rentre dans sa bauge avec des claquements précipités de branchages, le faisan au vol court et silencieux nage dans l’ombre qui déjà flotte au-dessus des bois et des prés, le lièvre agile se laisse glisser sur le premier rayon de la lune comme sur une corde raide d’argent. C’est là l’heure du vin de Bourgogne.
À ce moment-là, par cette nuit d’hiver, dans cette pièce éclairée du lugubre reflet de la neige, l’odeur profonde du Nuits-Saint-Georges nous rappelait le souvenir des soirées d’été en Bourgogne, des nuits endormies sur une terre encore chaude de soleil. »

Curzio Malaparte

(in Kaputt, p. 300-301, Folio/Gallimard, traduction de l’italien par Juliette Bertrand)

Curzio Malaparte (1898-1957)

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