mercredi 13 avril 2016

Robert Walser : Seeland [Extraits]



« Comme un monde qui s’est éloigné de toute spiritualisation et de tout enthousiasme est pauvre. Dans quel désert, dans quelle fixité ou semblant de vie végète une existence humaine qui néglige toute intériorité, tout tremblement devant ce qui la dépasse ! »
(“Récit de voyage”, p. 71)

« Des hirondelles et des colombes tournoyaient autour des clochers dans l’or pâle de l’air et dans les rues, des enfants jouaient comme si le monde était à eux. Si seulement c’était le cas ! Les enfants seraient capables de diriger un empire aussi bien que maint régent malhabile. Si seulement nombre d’adultes se prenaient pour moins adultes, et si seulement nombre de grands se prenaient pour moins grands.
Nous devrions tous nous dire que nous restons petits, que pour la plupart d’entre nous, il ne saurait être question de croissance et de développement, ni de devenir vraiment bon et grand, et pas pour moi non plus. Pour les affronts, que chacun veuille bien commencer par lui-même ; et seulement pour les caresses et les politesses, par autrui. Eh bien en voilà, des affaires. On ne sort pas de sa peau, quoiqu’on en ait. Ne sommes-nous pas, à des degrés divers, des chimères, des images, des fantasmagories, des poèmes ? Un poème vraiment beau vit plus longtemps que les hommes, et voilà qui est bien contrariant. »
(“Récit de voyage”, p. 74-75)

« Les yeux qui pleurent ne sont-ils pas plus beaux que les yeux secs et sans larmes ? La joie où transparaît encore le reflet d’une douleur éprouvée, n’est-elle pas plus joyeuse que toute autre joie ? Le bonheur encore pénétré du malheur passé n’est-il pas plus pur et plus beau, plus riche et plus sublime que celui qui n’a jamais été harcelé et mis à l’épreuve par l’adversité ? La colère qui verse des larmes n’est-elle pas plus belle, en vérité, que l’indifférence glaciale et mesurée ? Un orage n’est-il pas bien plus beau que la froide réflexion mûrement calculée ? La défaite n’est-elle pas préférable au sourire exsangue du triomphe ? Le trouble n’est-il pas plus bénéfique que le sang-froid et l’impassibilité ? Un échec dont je soupire ne vaut-il pas mieux qu’une victoire, dont je tire une jubilation grossière et laide ? La lueur qui rehausse un objet n’est-elle pas mille fois plus belle que cet objet lui-même ? Et à tout bien prendre, le ciel furieux, radieux, fulminant, n’est-il pas infiniment plus beau que la terre, cette impertinente qui, sans le ciel qui veut bien la soutenir dans les airs, se ratatinerait jusqu’à l’insignifiance, s’enfoncerait dans le néant et s’abîmerait dans une chimérique épouvante ? L’âme qui fait du corps un corps, n’est-elle pas plus belle que ce dernier ? Le principe spirituel qui te met joyeusement en branle, n’est-il pas plus beau que toi-même ? Les quelques bonnes intentions qui m’animent et m’inspirent ne sont-elles pas beaucoup plus belles que moi ? »
(“Étude d’après nature”, p. 110-111)

Robert Walser
(in Seeland, Zoé poche, traduit de l’allemand par Marion Graf)


Robert Walser (1878-1956)

Curzio Malaparte et le vin de Bourgogne



« Aucun vin n’est aussi terrestre que le rouge vin de Bourgogne ; dans le reflet blanc de la neige, il avait la couleur de la terre, cette couleur pourpre et or des collines de la Côte-d’Or au coucher du soleil. Son souffle était profond, parfumé d’herbes et de feuilles comme un soir d’été bourguignon. Et aucun vin n’accompagne aussi intimement l’approche du soir que le vin de Nuits-Saint-Georges, n’est autant l’ami de la nuit que le vin de Nuits-Saint-Georges, nocturne jusque dans son nom, profond et semé d’éclairs comme une nuit d’été en Bourgogne. Il brille d’un éclat sanglant au seuil de la nuit comme, au bord cristallin de l’horizon, le feu du couchant. Il allume des lueurs rouges et bleues dans la terre couleur de pourpre, dans l’herbe et dans les feuilles d’arbres, encore chaudes des saveurs et des arômes du soleil mourant. Les bêtes sauvages, à la tombée de la nuit, s’acagnardent profondément dans la terre, le sanglier rentre dans sa bauge avec des claquements précipités de branchages, le faisan au vol court et silencieux nage dans l’ombre qui déjà flotte au-dessus des bois et des prés, le lièvre agile se laisse glisser sur le premier rayon de la lune comme sur une corde raide d’argent. C’est là l’heure du vin de Bourgogne.
À ce moment-là, par cette nuit d’hiver, dans cette pièce éclairée du lugubre reflet de la neige, l’odeur profonde du Nuits-Saint-Georges nous rappelait le souvenir des soirées d’été en Bourgogne, des nuits endormies sur une terre encore chaude de soleil. »

Curzio Malaparte

(in Kaputt, p. 300-301, Folio/Gallimard, traduction de l’italien par Juliette Bertrand)

Curzio Malaparte (1898-1957)

Novalis : « [...] l'objet propre de la Poésie... »



« […] l’objet propre de la Poésie, l’autorité sous laquelle elle se range, n’est autre que la force vive de ce que nous avons de plus personnel dans notre être ! Entre un véritable poème et une noble action, quelle étonnante identité ! »
Novalis 
(in Henri d’Ofterdingen, p. 233, L’Imaginaire/Gallimard, traduction : Armel Guerne)


Georg Philipp Friedrich Freiherr von Hardenberg, dit Novalis (1772-1801)

vendredi 1 avril 2016

Charles Bukowski : “Le coeur rieur” (The Laughing Heart)

Charles Bukowski (1920-1994)


Ta vie, c'est ta vie
Ne te laisse pas marteler par une soumission moite
Sois à l'affût
Il y a des issues
La lumière est quelque part
Il y en a peu mais elle bat les ténèbres
Sois à l'affût
Les dieux t'offriront des chances
Reconnais-les, saisis-les
Tu ne peux abattre la mort
Mais tu peux la combattre dans la vie
Et le plus souvent tu sauras le faire
Le plus de lumière il y aura
Ta vie, c'est ta vie
Sache-le tant qu'il est temps
Tu es merveilleux
Les dieux attendent cette lumière en toi

Charles BUKOWSKI
(J'ignore malheureusement le nom du traducteur ou de la traductrice.)


Tom Waits lit le poème “The Laughing Heart” de Charles Bukowski avec une émotion communicative