Egon Schiele, Femme en deuil, 1912 |
« La mort est un
maître d’Allemagne »
Paul Celan
Louise,
une jeune femme d’une trentaine d’années, marchait dans une épaisse forêt, le
souffle court, oppressée par l’atmosphère qu’elle sentait émaner autour d’elle
et en soi.
Depuis
trop longtemps la nuit avait pris possession de son âme comme un gros ballon de
colle noire. Son ombre ne la suivait plus, elle s’était fondue en elle pour
prendre toute la place. Le ciel était gris comme la ferraille d’une tôle
ondulée et Louise se sentait prisonnière de sa propre peau. Comme elle aurait
voulu pouvoir muer ! arracher ce tissu qui l’étouffait et l’abandonner
derrière elle ainsi qu’un serpent fait de sa peau morte.
Lorsqu’elle
déboucha dans une clairière, le soleil lui sauta au visage ainsi qu’un chat
qui, pris de fureur, griffe et mord jusqu’au sang. Où cacher son corps à
présent qu’une lumière verte avait envahi toute l’herbe ?
Malgré
les javelots d’or du soleil et le chant matinal des oiseaux, tout lui semblait
pénétré de mort jusqu’aux plus intimes racines de sa chair. Un fantôme :
voilà comment elle imaginait son être, un feu follet dont la lumière blafarde
est avalée et mastiquée inlassablement par la bouche morte du ciel. Louise
aurait voulu serrer un homme contre elle, se couvrir de ce corps masculin comme
d’un manteau protecteur. Alors seulement, peut-être, se sentirait-elle revivre
à nouveau, baignée dans la chaleur d’une peau qui aime.
Elle
regarda les stèles en bois des arbres muets. Il fallait fuir ce cimetière,
s’échapper, courir jusqu’à sentir l’air lui brûler la poitrine, cracher sa
mort, pleurer tout le sel de ses yeux, regagner le seuil de la vie. Elle
repensa aux nuits d’amour. Cela était-il donc bien fini ? Non ! Il
lui fallait d’abord se réconcilier avec ses forces vives, ouvrir son sein pour
y laisser entrer la lumière fauve et animale d’un corps qui désire de toute son
âme.
Elle
sentit la terre chaude à ses pieds, couchée comme une immense femme, lui
communiquer le feu ardent de son magma souterrain. Elle allait aimer jusqu’à
plus souffle les fleurs, la sève des arbres, l’eau dorée des rivières ;
elle allait reprendre vie.
Louise
ouvrit son être à toute la beauté vivante qui palpitait autour d’elle. Une
vague de pitié la traversa tout entière : elle pleura sur elle-même et ses
larmes furent douces. L’amour redevenait peu à peu maître de sa peau de même
qu’un renard regagne la paix de son terrier.
Louise
faisait enfin corps avec soi. Pour ne rien perdre de cette union solaire
retrouvée, elle rentra en elle-même et elle ferma la porte.
© Thibault Marconnet
le
24 juillet 2015
Egon Schiele, La rêveuse (Gerti Schiele), 1911 |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire