La Peau de Curzio Malaparte est une lecture
bouleversante dont on ne ressort pas indemne. L'histoire se déroule pendant le
débarquement des forces alliées sur le sol de l'Italie en 1943. Malaparte ne
nous épargne rien de ce qui fait la beauté et la laideur tragiques de l'humaine
condition. Narrateur et auteur sont incarnés en une seule et même personne :
Curzio Malaparte, lequel s'était engagé auprès des Américains pour combattre la
Wehrmacht et les “Chemises noires” de Mussolini afin de libérer l'Italie du
joug fasciste.
Il
assiste alors, impuissant, à l'effondrement du peuple italien atteint par “la
Peste” des vaincus : perdant toute dignité face aux vainqueurs ceux-ci
n'hésitent pas à leur prostituer femmes, filles et même jusqu'aux enfants...
Car les Italiens, au lieu de sauver leur âme, ne pensent qu'à sauver leur
“peau”, d'où le titre du livre. Malaparte nous montre également à quel point
les Américains débarqués en Italie font preuve, pour la plupart, d'une
inculture crasse et traitent à tout propos les Italiens de “dirty, bastard
people !”, se croyant en cela infiniment supérieurs aux hommes de la vieille
Europe. Durant ses nombreuses discussions avec des officiers américains,
Malaparte tentera de rehausser l'image de son peuple - en vain. Il aura même,
je crois, une formule assez fracassante, disant à des officiers (je cite de
mémoire et si quelque lecteur retrouve le passage je lui en saurais gré) : «
Vous les Américains, vous êtes un peuple bon et noble car vous êtes heureux.
Mais vous ne serez pas un grand peuple tant que vous ne saurez pas pleurer. »
La Peau est un livre qui m'a brûlé les paupières
: le sel des larmes, comme un ressac, s'est emparé de mon âme et de mes yeux à
maintes reprises.
Voici
un passage du livre :
«
Vous ne pouvez pas imaginer de quoi est capable un homme, de quels héroïsmes,
de quelles infamies il est capable, pour sauver sa peau. Cette sale peau. (Ce
disant, je saisis avec deux doigts la peau du dos de ma main, et la tiraillai
en tous sens.) Jadis on endurait la faim, la torture, les souffrances les plus
terribles, on tuait et on mourait, on souffrait et on faisait souffrir, pour
sauver l'âme, pour sauver son âme et celle des autres. On était capable de
toutes les grandeurs et de toutes les infamies, pour sauver son âme.
Aujourd'hui on souffre et on fait souffrir, on tue et on meurt, on fait des
choses merveilleuses et des choses terribles, non pour sauver son âme, mais
pour sauver sa peau. On croit lutter et souffrir pour son âme, mais en réalité
on lutte et on souffre pour sa peau, rien que pour sa peau. Tout le reste ne
compte pas. C'est pour une bien pauvre chose qu'on devient un héros,
aujourd'hui ! Pour ça, pour une sale chose. La peau humaine est bien laide ! »
Curzio Malaparte (in La Peau, p. 171)
© Thibault Marconnet
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