Une
nuit d’Août il quitta la salle basse où tous dormaient sur les matelas.
Il
vit un château de pierre avec deux ailes plus élevées, chacune terminée par une
toiture pointue, et parce que la lune était haute les toits d’ardoise noires
brillaient et les sapins donnaient des ombres.
Un
prêtre breton dormait ici et possédait à demi le domaine. L’adolescent vit la
passerelle de fer qui va d’un étage à l’autre et les girouettes de zinc.
Le
ciel éclairait cette belle demeure blanche. Étaient à côté d’elle des arcs
d’acier avec des rosiers dessus, aussi un potager et un réservoir en métal avec
de l’eau dedans, et l’eau reflétait.
D’un
bond l’adolescent traversa les allées bordées de milliers d’œillets, et il
distingua ce jardin avec netteté car c’était une nuit claire.
La
terre craquelée de chaleur d’un sentier en France résonna au bruit de ses pas.
Il
franchit un pré avec des arbres en petit nombre, ronds et verts. Ses chevilles
nues s’ensanglantèrent aux tronçons des tiges sèches. L’adolescent marcha à
côté du ciel bleu et un sourire étincelant vint sur sa bouche rouge. Ses jambes
se raidirent de joie, et voulurent danser, à cause de l’amour.
Une
lumière brûlait dans une cour où un juif de son âge travaillait jusqu’à minuit
et se cachait. L’adolescent entra dans la porcherie et s’assit près de la
lanterne. Les deux se regardèrent et s’embrassèrent tendrement.
Lorsque
l’adolescent rentra dans la salle basse, ceux que son passage éveilla
dirent : « il connaît une fille, il est allé faire l’amour avec
elle. »
D’un
matelas à l’autre il parla à son voisin, dans l’obscurité, les mains unies,
avec la douceur des confidences qu’échangent les marins avant de s’endormir à
bord des navires.
Mais
il ne put dormir, se retournant sans cesse, songeant à tant de choses.
Il pensa :
Rien n’est plus
beau que l’amour,
rien n’est plus
doux,
rien n’est plus
fort,
rien ne s’élance
plus loin.
Non pas l’amour
de tous les hommes,
mais celui des
compagnons d’aventure ;
l’amour né dans
les bois et dans les camps de travail de ce siècle
l’amour rend
immortel
l’amour délivre
l’amour efface
toute pensée particulière
l’amour me fait
oublier jusqu’au nom de ma naissance
l’amour est pur
l’amour gorge
les yeux de larmes
l’amour est ma
patrie
l’amour brille
dans la nuit.
l’amour me fait
haïr mes ennemis et imaginer des tortures.
L’amour est
partial
l’amour est un
chant de guerre
l’amour oppresse
la poitrine
l’amour se moque
de la mort.
D’où me viennent
mes pensées,
si ce n’est de
tous…
que suis-je
d’autre que mes pensées ?
Ma vie ne fut
qu’un seul amour :
lorsque je
m’interroge,
hors de lui je
ne m’imagine pas.
Jadis j’ai
galopé sur les plaines de l’Orient ;
demain où
planterai-je ma tente ?
Quelles villes
seront bâties par mes compagnons…
Je ne les
abandonnerai pas dans leur marche,
durerait-elle
mille ans.
J’ai retrouvé
mon frère Abd Allah.
Comme ses joues
sont belles et son corps chargé d’odeurs.
Combien nos
corps sont semblables.
Nous n’avons pas
besoin des mots pour savoir toutes choses.
Me voici de
retour après une longue absence.
Nous avons
planté nos tentes aux portes de l’Europe.
Nous la
convoitons et nous la méprisons.
Nous lui
donnerons l’assaut.
Nous n’avons que
faire de l’Art, des demeures luxueuses et des dieux !
L’amour nous
tient lieu de tout et nous l’emportons dans nos bagages.
L’amour est
pareil aux danses autour d’un feu.
Mon cœur n’a été
souillé par rien.
Les êtres
étrangers à ma patrie
je les ai
méprisés et détestés.
J’ai haï les
villes.
Nous briserons
vos dieux
avec des
incantations nouvelles !
Et vos
citadelles par la magie et les danses.
J’ai retrouvé
mon cœur et mon immortalité.
Ma patrie
éternelle m’a envoyé un ambassadeur :
Abd Allah je
sais d’où tu viens ;
tu es beau
lorsque tu parais au soleil levant.
Je n’ai d’autres
dieux que mon frère Abd Allah.
Si je ne
chantais pas je mourrais.
J’ai regagné ma
patrie, voici le compagnon des années anciennes.
Je sais où sont
mes frères et mes ennemis.
J’ai le secret
de ne pas mourir.
Je n’oublierai
jamais ce que je sais
car je
deviendrais comme un cadavre.
J’ai été comblé
au-delà de mes désirs.
– Mon cœur,
pourquoi pleures-tu ces larmes brûlantes ?
– C’est de
joie !
François Augiéras
Les noces avec l’Occident, p. 32-36
Editions Fata
Morgana, 1981, 72 pages, livre épuisé
François Augiéras, berger du cosmos, pâtre des étoiles, douceur et violence réconciliés : loup entré dans la bergerie malsaine de l'Occident |
François Augiéras, adolescent, les yeux pleins de la matrice du rêve qu'il fomente dans le secret de son âme |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire