Attila József |
Jamais peut-être fils n'a
prononcé de plus brûlante élégie funéraire à sa mère : magnifique et terrible
parce qu'il crie tout l'abandon éprouvé dans sa chair, en montrant son cœur nu
désormais vide de cette tendresse maternelle. Un ciel noir dégringole
littéralement sur le crâne d'Attila József et Denis Lavant, accompagné par la
guitare de Serge Teyssot-Gay, nous rend cette peine déchirante dans toute sa
sauvagerie amoureuse. La traduction de Gábor Kardos a été adaptée pour la scène
par Kristina Rády. Après l’interprétation de Denis Lavant suit celle du
comédien hongrois Zsolt Nagy.
D'une fièvre de
trente-six degrés, toujours, je brûle,
sans tes doux soins, ma
mère.
La mort t'a étendue
contre son ventre,
comme les filles que l'on
hèle, lestes et légères.
D'un tendre automne et
bien des femmes aimées,
je tente, ma mère, de te
recomposer ;
mais en vain, on
n'échappe pas au temps écoulé,
le feu finit par nous
consumer.
En dernier lieu, je
partis en province,
la guerre touchait à sa
fin,
Budapest était en peine,
sens dessus dessous,
les magasins béaient, sans
pain.
Sur le toit du train, à
plat ventre couché
je t'apportais des
patates et du millet
têtu que j'étais, un
poulet entier j'ai trouvé,
et tu n'étais plus nulle
part, éternité.
Tu m'as pris et jeté
aux vers
tes doux seins et
toi-même, ma mère !
Tu consolais ton fils, le
reprenais,
mais ta charmante parole
fut perfide et mensongère.
Tu soufflais sur ma soupe
et la remuais,
disant : Mange, tu
grandiras pour moi, mon ange !
À présent tes lèvres
vides goûtent à la grasse moiteur livide –
tu m'as donné le change.
J'aurais dû te manger,
toi !... Tu m'apportais
ton repas – l'avais-je demandé, moi ?
Pourquoi courber le dos
au lessivage ?
Pour l'aplatir au fond
d'un coffre d'épave ?
Ah, si tu pouvais me
fesser encore une fois,
je rétorquerais, pris
d'un bonheur fou :
Bonne à rien ! Tu
t'empresses à n'exister pas,
ombre, tu gâches le tout
!
Tu es plus friponne que
toute ces femmes
qui nous trompent et
mènent par le bout du nez !
En douce, tu as vidé tes
amours
de ta foi vivante, à
force de douleur enfantée.
Tsigane ! Vaurienne !
Tous tes dons,
à l'heure funéraire, tu
les retires, revoles !
L'enfant a envie de te
couvrir de colère –
l'entends-tu, mère ?
Fais-moi donc taire !
Petit à petit mon fol
esprit s'éclaire,
le mythe s'efface, le
charme se brise.
L'enfant cramponné à
l'amour de sa mère
a saisi enfin sa sottise.
Enfanté d’une mère, on
finit tous par s'abuser,
même en leurrant les
autres on se leurre :
qu'on choisisse de lutter
ou d'aller en paix
à la fin, tout de même,
on en meurt.
Attila József
Egon Schiele, Boy with Hand to Face, 1910 |
Egon Schiele, Man bencind down deeply, 1914 |
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