dimanche 17 juillet 2016

Attila József - Complainte tardive

Attila József




Jamais peut-être fils n'a prononcé de plus brûlante élégie funéraire à sa mère : magnifique et terrible parce qu'il crie tout l'abandon éprouvé dans sa chair, en montrant son cœur nu désormais vide de cette tendresse maternelle. Un ciel noir dégringole littéralement sur le crâne d'Attila József et Denis Lavant, accompagné par la guitare de Serge Teyssot-Gay, nous rend cette peine déchirante dans toute sa sauvagerie amoureuse. La traduction de Gábor Kardos a été adaptée pour la scène par Kristina Rády. Après l’interprétation de Denis Lavant suit celle du comédien hongrois Zsolt Nagy.

D'une fièvre de trente-six degrés, toujours, je brûle,
sans tes doux soins, ma mère.
La mort t'a étendue contre son ventre,
comme les filles que l'on hèle, lestes et légères.
D'un tendre automne et bien des femmes aimées,
je tente, ma mère, de te recomposer ;
mais en vain, on n'échappe pas au temps écoulé,
le feu finit par nous consumer.

En dernier lieu, je partis en province,
la guerre touchait à sa fin,
Budapest était en peine, sens dessus dessous,
les magasins béaient, sans pain.
Sur le toit du train, à plat ventre couché
je t'apportais des patates et du millet
têtu que j'étais, un poulet entier j'ai trouvé,
et tu n'étais plus nulle part, éternité.

Tu m'as pris et jeté aux vers
tes doux seins et toi-même, ma mère !
Tu consolais ton fils, le reprenais,
mais ta charmante parole fut perfide et mensongère.
Tu soufflais sur ma soupe et la remuais,
disant : Mange, tu grandiras pour moi, mon ange !
À présent tes lèvres vides goûtent à la grasse moiteur livide –
tu m'as donné le change.

J'aurais dû te manger, toi !... Tu m'apportais
ton repas –  l'avais-je demandé, moi ?
Pourquoi courber le dos au lessivage ?
Pour l'aplatir au fond d'un coffre d'épave ?
Ah, si tu pouvais me fesser encore une fois,
je rétorquerais, pris d'un bonheur fou :
Bonne à rien ! Tu t'empresses à n'exister pas,
ombre, tu gâches le tout !

Tu es plus friponne que toute ces femmes
qui nous trompent et mènent par le bout du nez !
En douce, tu as vidé tes amours
de ta foi vivante, à force de douleur enfantée.
Tsigane ! Vaurienne ! Tous tes dons,
à l'heure funéraire, tu les retires, revoles !
L'enfant a envie de te couvrir de colère –
l'entends-tu, mère ? Fais-moi donc taire !

Petit à petit mon fol esprit s'éclaire,
le mythe s'efface, le charme se brise.
L'enfant cramponné à l'amour de sa mère
a saisi enfin sa sottise.
Enfanté d’une mère, on finit tous par s'abuser,
même en leurrant les autres on se leurre :
qu'on choisisse de lutter ou d'aller en paix
à la fin, tout de même, on en meurt.

Attila József


Egon Schiele, Boy with Hand to Face, 1910
Egon Schiele, Man bencind down deeply, 1914





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