De manière littérale, "sémaphore" signifie "porter un signal".
C'est la tâche que je fais mienne à travers ce blog : transmettre des signaux à ceux qui veillent encore dans la grisaille du siècle.
Il y sera question d'Art principalement. À savoir que l'Art n'est pas un divertissement futile mais peut-être l'une des meilleures façons de poser des questions aux "animaux parlants" que nous sommes.
Tom Wait's voice is incredibly subtle. Sometimes it is roaring like a thunder, and then, when the last drops of rain have fallen into the grass, we hear like a bird whose singing deeply cures the heart. Then we can sleep peacefully. / La voix de Tom Waits est incroyablement subtile. Parfois elle gronde comme le tonnerre, puis, une fois que les dernières gouttes de pluie se sont infiltrées dans l'herbe, on entend comme la voix d'un oiseau dont le chant guérit profondément le coeur. Alors, on peut s'endormir en paix.
“So what becomes of all the little boys, who run away from home, well the
world just keeps gettin' bigger, once you get out on your own, so here's to
all the little boys, the sandman takes you where, you'll be sleepin' with a
pillowman, on the nickel over there.
So let's climb up through that button hole, and we'll fall right up the
stairs, and i'll show you where the short dogs grow, on the nickel over there.”
Tom Waits en 1975 pour le Live at the Troubadour, West Hollywood
Jamais peut-être fils n'a
prononcé de plus brûlante élégie funéraire à sa mère : magnifique et terrible
parce qu'il crie tout l'abandon éprouvé dans sa chair, en montrant son cœur nu
désormais vide de cette tendresse maternelle. Un ciel noir dégringole
littéralement sur le crâne d'Attila József et Denis Lavant, accompagné par la
guitare de Serge Teyssot-Gay, nous rend cette peine déchirante dans toute sa
sauvagerie amoureuse. La traduction de Gábor Kardos a été adaptée pour la scène
par Kristina Rády. Après l’interprétation de Denis Lavant suit celle du
comédien hongrois Zsolt Nagy.
D'une fièvre de
trente-six degrés, toujours, je brûle,
sans tes doux soins, ma
mère.
La mort t'a étendue
contre son ventre,
comme les filles que l'on
hèle, lestes et légères.
D'un tendre automne et
bien des femmes aimées,
je tente, ma mère, de te
recomposer ;
mais en vain, on
n'échappe pas au temps écoulé,
le feu finit par nous
consumer.
En dernier lieu, je
partis en province,
la guerre touchait à sa
fin,
Budapest était en peine,
sens dessus dessous,
les magasins béaient, sans
pain.
Sur le toit du train, à
plat ventre couché
je t'apportais des
patates et du millet
têtu que j'étais, un
poulet entier j'ai trouvé,
et tu n'étais plus nulle
part, éternité.
Tu m'as pris et jeté
aux vers
tes doux seins et
toi-même, ma mère !
Tu consolais ton fils, le
reprenais,
mais ta charmante parole
fut perfide et mensongère.
Tu soufflais sur ma soupe
et la remuais,
disant : Mange, tu
grandiras pour moi, mon ange !
À présent tes lèvres
vides goûtent à la grasse moiteur livide –
Voici un
beau documentaire - consacré au poète germanophone Paul Celan - que j'ai visionné le jour de sa diffusion sur Arte. Le témoignage
de son fils Éric m'a beaucoup marqué. J'ai pu notamment apprendre à quel
point le Groupe 47 - composé, entre autres, des écrivains Hans Magnus
Enzesberger, Heinrich Böll, Peter Handke, etc., - avait fait preuve d'une
incommensurable bêtise à l'égard de cet immense poète qui les dépassait tous,
se moquant alors du ton de ses lectures : ces petits avant-gardistes de salon
ne trouvant rien de mieux que de les comparer aux psalmodies d'un rabbin voire
même, ce qui est franchement minable de leur part, à un discours prononcé par
Goebbels... Ingeborg Bachmann avait cru bien faire, c'était sans compter avec
la surdité imbécile de ses petits camarades. On comprend mieux pourquoi, durant
toute sa vie, l'Allemagne ne cessera de rester pour lui une “terre d'angoisse”.
J'espérais secrètement qu'une bonne âme publierait ce documentaire sur YouTube.
Les documentaires consacrés à Paul Celan, qu'ils soient radiophoniques ou télévisés,
sont d'une grande rareté et je me demande même si celui-ci n'est pas le tout
premier. Ce partage permettra à chacun de découvrir un peu qui fut Paul Celan
et, qui sait, donnera peut-être l'envie à certains de se plonger dans cette poésie
sublime qui demeure, plus que jamais, indispensable à notre siècle. Comme l'écrivait
Henri Michaux à propos du suicide de celui qui fut l'un de ses amis : « Partir.
/ De toute façon partir. / Le long couteau du flot de l'eau arrêtera la parole. »
Et voici une poignante interprétation
musicale du poème “Todesfuge” par Matthias Fuhrmeister :
Paul Celan dans son appartement de la rue de Longchamp, à Paris, en 1958. NACHLASS ERIC CELAN