mardi 19 juillet 2016

Tom Waits - On The Nickel (Austin - 1978)




Tom Wait's voice is incredibly subtle. Sometimes it is roaring like a thunder, and then, when the last drops of rain have fallen into the grass, we hear like a bird whose singing deeply cures the heart. Then we can sleep peacefully. / La voix de Tom Waits est incroyablement subtile. Parfois elle gronde comme le tonnerre, puis, une fois que les dernières gouttes de pluie se sont infiltrées dans l'herbe, on entend comme la voix d'un oiseau dont le chant guérit profondément le coeur. Alors, on peut s'endormir en paix.

“So what becomes of all the little boys, who run away from home, well the
world just keeps gettin' bigger, once you get out on your own, so here's to
all the little boys, the sandman takes you where, you'll be sleepin' with a
pillowman, on the nickel over there.
So let's climb up through that button hole, and we'll fall right up the
stairs, and i'll show you where the short dogs grow, on the nickel over there.”


Tom Waits en 1975 pour le Live at the Troubadour, West Hollywood

dimanche 17 juillet 2016

Attila József - Complainte tardive

Attila József




Jamais peut-être fils n'a prononcé de plus brûlante élégie funéraire à sa mère : magnifique et terrible parce qu'il crie tout l'abandon éprouvé dans sa chair, en montrant son cœur nu désormais vide de cette tendresse maternelle. Un ciel noir dégringole littéralement sur le crâne d'Attila József et Denis Lavant, accompagné par la guitare de Serge Teyssot-Gay, nous rend cette peine déchirante dans toute sa sauvagerie amoureuse. La traduction de Gábor Kardos a été adaptée pour la scène par Kristina Rády. Après l’interprétation de Denis Lavant suit celle du comédien hongrois Zsolt Nagy.

D'une fièvre de trente-six degrés, toujours, je brûle,
sans tes doux soins, ma mère.
La mort t'a étendue contre son ventre,
comme les filles que l'on hèle, lestes et légères.
D'un tendre automne et bien des femmes aimées,
je tente, ma mère, de te recomposer ;
mais en vain, on n'échappe pas au temps écoulé,
le feu finit par nous consumer.

En dernier lieu, je partis en province,
la guerre touchait à sa fin,
Budapest était en peine, sens dessus dessous,
les magasins béaient, sans pain.
Sur le toit du train, à plat ventre couché
je t'apportais des patates et du millet
têtu que j'étais, un poulet entier j'ai trouvé,
et tu n'étais plus nulle part, éternité.

Tu m'as pris et jeté aux vers
tes doux seins et toi-même, ma mère !
Tu consolais ton fils, le reprenais,
mais ta charmante parole fut perfide et mensongère.
Tu soufflais sur ma soupe et la remuais,
disant : Mange, tu grandiras pour moi, mon ange !
À présent tes lèvres vides goûtent à la grasse moiteur livide –
tu m'as donné le change.

J'aurais dû te manger, toi !... Tu m'apportais
ton repas –  l'avais-je demandé, moi ?
Pourquoi courber le dos au lessivage ?
Pour l'aplatir au fond d'un coffre d'épave ?
Ah, si tu pouvais me fesser encore une fois,
je rétorquerais, pris d'un bonheur fou :
Bonne à rien ! Tu t'empresses à n'exister pas,
ombre, tu gâches le tout !

Tu es plus friponne que toute ces femmes
qui nous trompent et mènent par le bout du nez !
En douce, tu as vidé tes amours
de ta foi vivante, à force de douleur enfantée.
Tsigane ! Vaurienne ! Tous tes dons,
à l'heure funéraire, tu les retires, revoles !
L'enfant a envie de te couvrir de colère –
l'entends-tu, mère ? Fais-moi donc taire !

Petit à petit mon fol esprit s'éclaire,
le mythe s'efface, le charme se brise.
L'enfant cramponné à l'amour de sa mère
a saisi enfin sa sottise.
Enfanté d’une mère, on finit tous par s'abuser,
même en leurrant les autres on se leurre :
qu'on choisisse de lutter ou d'aller en paix
à la fin, tout de même, on en meurt.

Attila József


Egon Schiele, Boy with Hand to Face, 1910
Egon Schiele, Man bencind down deeply, 1914





dimanche 3 juillet 2016

Paul Celan : “Écrire pour rester humain” (Documentaire)




Voici un beau documentaire - consacré au poète germanophone Paul Celan - que j'ai visionné le jour de sa diffusion sur Arte. Le témoignage de son fils Éric m'a beaucoup marqué. J'ai pu notamment apprendre à quel point le Groupe 47 - composé, entre autres, des écrivains Hans Magnus Enzesberger, Heinrich Böll, Peter Handke, etc., - avait fait preuve d'une incommensurable bêtise à l'égard de cet immense poète qui les dépassait tous, se moquant alors du ton de ses lectures : ces petits avant-gardistes de salon ne trouvant rien de mieux que de les comparer aux psalmodies d'un rabbin voire même, ce qui est franchement minable de leur part, à un discours prononcé par Goebbels... Ingeborg Bachmann avait cru bien faire, c'était sans compter avec la surdité imbécile de ses petits camarades. On comprend mieux pourquoi, durant toute sa vie, l'Allemagne ne cessera de rester pour lui une “terre d'angoisse”. J'espérais secrètement qu'une bonne âme publierait ce documentaire sur YouTube. Les documentaires consacrés à Paul Celan, qu'ils soient radiophoniques ou télévisés, sont d'une grande rareté et je me demande même si celui-ci n'est pas le tout premier. Ce partage permettra à chacun de découvrir un peu qui fut Paul Celan et, qui sait, donnera peut-être l'envie à certains de se plonger dans cette poésie sublime qui demeure, plus que jamais, indispensable à notre siècle. Comme l'écrivait Henri Michaux à propos du suicide de celui qui fut l'un de ses amis : « Partir. / De toute façon partir. / Le long couteau du flot de l'eau arrêtera la parole. »

Et voici une poignante interprétation musicale du poème “Todesfuge” par Matthias Fuhrmeister : 




Paul Celan dans son appartement de la rue de Longchamp, à Paris, en 1958. NACHLASS ERIC CELAN