jeudi 24 décembre 2020

Augiéras, le Grand Vivant













L'œuvre de François Augiéras est une entière approbation de l'existence ; un témoignage fervent des douleurs et des plaisirs gravés à même la chair.


Martyr offert à la joie de la souffrance et de la jouissance, ce Grand Vivant était peau à peau avec les quatre éléments du cosmos.

Il est de ceux qui osèrent présenter leur poitrine nue à l'épée de lumière, afin qu'elle entrouvre les points cardinaux de son âme.

Tour à tour victime et bourreau, il fut un être lumineux, solaire ; une âme burinée dans la forge des volcans.

Par le sexe, il fit corps avec la part d'humus qui gît en tout être.

Il est peu d'hommes qui aventurèrent leur vie aussi loin, qui se piquèrent avec autant de passion aux ronces rougies de l'extase.

Les livres d'Augiéras sont sa semence, donnée aux hommes qui le reconnaîtront pour frère.

Météore, il brûle dans la nuit comme un grand soleil.

© Thibault Marconnet 
le 1er février 2013



dimanche 13 décembre 2020

L’union

Louise, une jeune femme d’une trentaine d’années, marchait dans une épaisse forêt, le souffle court, oppressée par l’atmosphère qu’elle sentait émaner autour d’elle et en soi. Elle avait quitté précipitamment sa maison, dans laquelle elle vivait seule, sans savoir où ses pas la mèneraient.

Depuis trop longtemps la nuit avait pris possession de son âme, comme un gros ballon de colle noire. Son ombre ne la suivait plus, elle s’était fondue en elle pour prendre toute la place. Le ciel était gris comme la ferraille d’une tôle ondulée, et Louise se sentait prisonnière de sa propre peau. Comme elle aurait voulu pouvoir muer ! arracher ce tissu qui l’étouffait et l’abandonner derrière elle ainsi qu’un serpent fait de sa peau morte.

Lorsqu’elle déboucha dans une clairière, le soleil lui sauta au visage ainsi qu’un chat qui, pris de fureur, griffe et mord jusqu’au sang. Où cacher son corps, à présent qu’une lumière verte avait envahi toute l’herbe ?

Malgré les javelots d’or du soleil et le chant matinal des oiseaux, tout lui semblait pénétré de mort, jusqu’aux plus intimes racines de sa chair. Un fantôme : voilà comment elle imaginait son être ; un feu follet dont la lumière blafarde est avalée et mastiquée inlassablement par la bouche morte du ciel. Louise aurait voulu serrer un homme contre elle, se couvrir de ce corps masculin comme d’un manteau protecteur. Alors seulement, peut-être se sentirait-elle revivre à nouveau, baignée dans la chaleur d’une peau qui aime.

Elle regarda les stèles en bois des arbres muets. Il fallait fuir ce cimetière, s’échapper, courir jusqu’à sentir l’air lui brûler la poitrine, cracher sa mort, pleurer tout le sel de ses yeux – regagner le seuil de la vie. Elle repensa aux nuits d’amour. Cela était-il donc bien fini ? Non ! Il lui fallait d’abord se réconcilier avec ses forces vives, ouvrir son sein pour y laisser entrer la lumière fauve et animale d’un corps qui désire de toute son âme.

Elle sentit la terre chaude à ses pieds, couchée comme une immense femme, lui communiquer le feu ardent de son magma souterrain. Elle allait aimer jusqu’à plus souffle les fleurs, la sève des arbres, l’eau dorée des rivières ; elle allait reprendre vie.

Louise ouvrit son être à toute la beauté vivante qui palpitait autour d’elle. Une vague de pitié la traversa tout entière : elle pleura sur elle-même et ses larmes furent douces. L’amour redevenait peu à peu maître de sa peau, de même qu’un renard regagne la paix de son terrier.

Louise faisait enfin corps avec soi. Pour ne rien perdre de cette union solaire retrouvée, elle rentra en elle-même et elle ferma la porte.


© Thibault Marconnet

le 24 juillet 2015

samedi 24 octobre 2020

Le livre intérieur

Sur la mer blanche du papier, les mots sont des navires couleurs d’encre. Un jour, nous déployons les voiles de notre livre intérieur, et nous voilà partis à l’aventure. Nous affrontons des tempêtes, parsemées de quelques éclaircies, sans cesse à l’affût d’une terre où se reposer. Chaque halte est la bienvenue, car elle permet aux marins que nous sommes de reprendre des forces vives, de renforcer notre embarcation. Car le voyage est long, qui conduit du sommeil à l’éveil ; de l’ignorance à la connaissance. Sans doute est-ce avant tout en nous-mêmes qu’il convient de jeter nos filets et de plonger notre regard, sans avoir peur des monstres qui peuvent s’y trouver. Le soleil est là, qui veille, avec ses rayons comme autant de harpons. Dans le ventre des ténèbres luisent toujours quelques grains de lumière. Et il importe à ceux qui cherchent de trouver de quoi s’éclairer dans la nuit. Ce livre de Pessoa est une quête à la rencontre de ce que chacun de nous porte en soi : sa vérité propre. C’est un astrolabe nautique qui, je l’espère, permettra à chaque lecteur de naviguer vers de nouveaux horizons toujours plus vastes, car c’est ce qui donne à la vie son goût de sel - et qui conserve intacte en nous la soif de l’émerveillement. 

© Thibault Marconnet
le 7 mai 2020