Charles Marion Russell, A Desperate Stand, 1898 |
Maurice
s’installa confortablement dans un fauteuil rouge et les lumières
s’éteignirent, plongeant la salle de cinéma dans l’obscurité. L’écran s’alluma.
La scène montrait deux hommes à cheval, habillés en cowboys. Leur dialogue
commença :
« J’en
peux plus, Jack, j’en ai ma claque des westerns.
-
Pour moi c’est pareil John, dit l’autre. Faudrait que quelqu’un intervienne et
change cette foutue bobine une bonne fois pour toutes ! Ça fait au moins
la troisième fois qu’on joue aujourd’hui ! À force de chevaucher, je
commence à avoir des crampes. »
Les
deux cowboys se turent en voyant arriver un indien.
« Quelle
plaie ! dit John, va encore falloir qu’on joue à se tirer
dessus ! »
« Salut
les gars ! Z’auriez pas une clope ? demanda l’indien.
-
Ugh mon vieux James ! répondit Jack. Dis, t’en as pas marre, toi, de
jouer cette scène stupide ?
-
Ben si, Jack, qu’est-ce que tu crois ? D’ailleurs c’est simple,
aujourd’hui je fais grève, dit l’indien. Alors, t’as pas une clope ?
-
Si, lui répliqua le cowboy Jack, mais j’ai que des Marlboro : le film est
financé par leur firme.
-
Par le Ku Klux Klan, tu veux dire ? Encore cette bande de tarés ! Moi
j’suis un démocrate bon sang ! et j’veux des Lucky Strike ! tonitrua
l’indien James. »
John
descendit de cheval l’air courroucé.
« Goddamn
it ! Toi, un démocrate ?! J’peux pas vous encadrer, bande de
communistes ! Si seulement mon 6 coups avait des vraies balles, crois bien
qu’j’te trouerais la peau aussi sec, son of a bitch !
-
Du calme, John, dit Jack d’un ton ferme. Les primaires sont pas encore
terminées, alors vous allez pas déjà vous étriper comme des bêtes
sauvages ! For Christ’s sake ! On est dans un pays civilisé, les
mecs. »
Afin
de pacifier l’atmosphère, Jack sortit un paquet de Marlboro de sa poche et
tendit une cigarette à James déguisé en indien.
« Profites-en,
au prix qu’ça coûte maintenant ! Et puis c’est pas dit qu’on puisse
continuer à fumer dans les films encore longtemps.
-
Normal avec vous autres républicains et votre puritanisme de vieilles
filles ! répondit l’indien James.
-
Tu parles ! rétorqua Jack en souriant, c’est plutôt un coup des démocrates
pour s’faire bien voir des électeurs.
John,
qui bouillonnait dans son coin, explosa :
-
Répète un peu ce qu’t’as dit, James ! vociféra-t-il d’un ton menaçant.
J’vous connais vous autres démocrates, vous êtes qu’une bande de staliniens
dégénérés !
-
Quoi ?! Tu m’accuses encore de communisme ? C'en est trop ! cria James enragé.
Attends un peu mon gars ! »
Sur
ces mots, il sortit un fusil caché derrière un faux cactus. Jack essaya
d’apaiser les esprits échauffés mais en vain : le coup de feu était déjà
parti, blessant John à la jambe. Pour couronner le tout, des hordes de
démocrates et de républicains, qui habillés en cowboys, qui en indiens,
sortirent de derrière des collines factices et accoururent, tous armés de
fusils. Les balles ne tardèrent pas à pleuvoir de part et d’autre.
« Ah !
enfin le film commence ! dit Maurice assis dans la salle. Pendant un
temps, j’ai bien cru qu’ils s’étaient trompés de bobine. »
© Thibault Marconnet
le 05 février 2016
Charles Marion Russell, The War Party |