Sur le chemin des glaces, petit livre dense et fabuleux, est le
récit véritable d’un pèlerinage de la Bavière jusqu'à Paris commencé le 23
novembre 1974 et achevé le 14 décembre de la même année. À l'annonce de la mort
imminente de son amie Lotte Eisner, grande critique et historienne de cinéma,
Werner Herzog décide de faire à pied un long trajet qui doit lui permettre de
relier Munich à la capitale française, où Lotte Eisner vit (mais pour combien
de temps encore ?). Les préparatifs sont brefs : c'est avec son âme et son
corps tout entiers que Werner Herzog se doit d'accomplir ce cheminement – et
résolument seul.
Accompagné
par le froid, la solitude, la pluie, l'exaltation, la rage, Herzog marche avec,
chevillée au corps, la pensée que s'il accomplit cet acte de foi pure jusqu'au
bout Lotte Eisner ne mourra pas. Le cinéaste nous raconte les nuits à pénétrer
par effraction dans des chalets isolés de la Forêt-Noire, afin de prendre un
peu de repos et s'abriter pour un temps du froid mordant ; et les jours gris et
maussades à piétiner dans une boue jaune, à l'affût de quelque soleil évanoui
ou noyé. Ce qui anime Werner Herzog au cours de ce long et dangereux périple
peut s'apparenter à de la pensée magique, laquelle a souvent été mise à mal par
le christianisme et, plus récemment par la psychanalyse qui n’y a vu qu’une
sorte de résidu primitif, la scorie d’une époque lointaine où l’homme vivait
dans des grottes et n’avait ni chauffage ni eau courante : une ère très
ancienne où l’homme ne croyait pas encore au dieu “Progrès”, vénérait les dieux
de la nature, faisait corps avec la terre et n’avait que faire des joyeusetés
de notre technologie moderne… bref, un monde de cinglés ni plus ni moins !
Dès qu'une chose nous dépasse, notre société étriquée et froidement
rationaliste, ne peut s'empêcher de vouloir à toute force l'enclore dans un
symptôme, une pathologie. De même que l’historien romain Tacite déclarait :
« Plus une société est corrompue, plus elle multiplie le nombre de ses
lois », je dirais que plus une société est malade, plus elle invente de
symptômes pour créer davantage de confusion.
Thibault Marconnet, Fenêtre, (pastel), 2015 |
Baste
! Après maintes embûches, Werner Herzog parvient à Paris et son amie - qui selon
la médecine occidentale omnisciente aurait dû trépasser depuis longtemps -, est
encore en vie. Quelques années plus tard, c'est toujours le cas. Ce sont des
choses qui ne s'expliquent pas, qui appartiennent au mystère le plus insondable.
Épuisée, Lotte Eisner dit un jour à son ami réalisateur : « Werner, vous
avez jeté un sort sur moi, vous m’avez interdit de mourir, aujourd’hui j’ai
près de 90 ans, je suis aveugle, je ne peux plus lire, donc il faut enlever ce
sort pour que je puisse mourir. » Par jeu, Herzog acquiesce. Et, 15 jours plus
tard, Lotte Eisner meurt enfin.
Où
s'arrête la vie et où commence la mort ? Vaste question, pour laquelle nous ne
possédons aucune réponse.
Dans
un monde gelé jusqu'à l'os, voici un petit livre qui réchauffe, des mots qui
coulent dans la gorge ainsi qu'une eau-de-vie brûlante.
Au
bout du chemin des glaces, il y a un cœur qui bat toujours, aussi rougeoyant qu'une
braise.
© Thibault Marconnet
le 19 mars 2015
Werner Herzog, Sur le chemin des glaces, Petite
Bibliothèque Payot/Voyageurs, septembre 2009, 112 pages, 6,60 €
Werner Herzog |
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