Jacques-Louis David, Le serment du Jeu de Paume, le 20 juin 1789, 1791, Musée Carnavalet |
Maximilien referma le livre des “Confessions” de Jean-Jacques Rousseau. L’ouvrage était abîmé, suite à de nombreuses lectures. Les mots entraient lentement dans son cœur et le réchauffaient. Il se souvint de ce grand homme que la vie avait brisé et qu’il avait connu autrefois, à la fin de ses jours. Cet écrivain était devenu un véritable modèle pour lui et pour toute sa génération. Maximilien était alors tout jeune à l’époque. C’était plusieurs années avant le début de la Révolution française, qui allait bouleverser l’histoire du pays et de l’Europe tout entière.
Une faible lumière pénétrait dans la geôle de Maximilien. Au dehors, il entendait le peuple de Paris s’activer, et des cris de « À mort, l’assassin ! » fusaient dans le ciel. La guillotine devait déjà être en place à cette heure-ci, attendant de trancher la tête d’un homme qui avait voulu le bien de ses semblables.
« Où êtes-vous, Marat, Desmoulins, Danton, Saint-Just ? pensa Maximilien. Mes anciens frères de lutte, je vais bientôt vous retrouver, une fois que la lame aura baisé ma nuque de sa fine lèvre glacée. Tu m’avais prévenu, Danton, mais que pouvais-je faire d’autre qu’éliminer les ennemis de la Révolution ? Nous aussi, comme Rousseau, nous avons “formé une entreprise qui n’eut jamais d’exemple”. Nous avons agi en suivant notre idéal de liberté, d’égalité et de fraternité. Que deviendra la République, cet enfant que, tous ensemble, nous avons mis au monde et présenté à la face des nations ? Ma mort signera-t-elle la fin de tout ce que nous avons entrepris pour le bien de l’humanité ? »
Un rat fila devant les pieds de Maximilien qui, mal rasé, le visage hâve et souffrant, assis sur sa paillasse, remuait dans son esprit ces diverses pensées. Le geôlier vint jeter un coup d’œil dans la cellule du condamné : il était attifé d’un habit de sans-culotte et coiffé d’un bonnet phrygien à cocarde. Il ne prononça pas un mot et se contenta de sourire d’un air mauvais.
« Comment les générations futures me jugeront-elles ? se demanda Maximilien. Sauront-elles voir en moi un homme de vertu et non pas le “monstre” dont tout le monde parle à mon endroit ? Ai-je fait ce qui était juste ? Comment laver tout ce sang répandu ? Je ne crois pas qu’en tombant dans la corbeille du bourreau, ma tête coupée pourra faire cesser l’hémorragie. Je n’ai pas voulu le mal et pourtant tout le monde, aujourd’hui, m’en accuse. Mais qui connaîtra jamais le secret de mon âme ? »
Le geôlier revint, suivi de gardes nationaux. L’un deux dit :
« Citoyen Robespierre, suis-nous. L’heure est venue. »
Maximilien Robespierre se leva et les accompagna. Le peuple attendait sur la place noire de monde. Plusieurs insultes jaillirent à son apparition. L’homme grimpa une à une les marches de bois qui menaient jusqu’à l’objet de sa mort. La lame brillait dans le soleil et ressemblait à un sourire tordu.
Le citoyen Robespierre regarda le ciel, puis sa chemise et les pavés de la place, mal lavés du sang de la veille. Trois couleurs s’imprimèrent dans son regard, avant que ne tombe le couperet fatal. C’était le bleu, le blanc et le rouge.
© Thibault Marconnet
le 13 septembre 2018