vendredi 24 novembre 2017

Une lumière

Georges de La Tour, La Madeleine à la veilleuse, 1642-44, (détail)

Une pluie fine tombait sur les toits du petit village de Lanzergues. Le jour commençait à décliner peu à peu, quand le clocher de l’église sonna cinq heures de l’après-midi. En ce mois de novembre, les habitants ne s’attardaient pas dehors, ils se calfeutraient dans leurs maisons après avoir allumé un feu de bois dans la cheminée.
Un homme venait sur la route de Bassaigne, marchant d’un pas lent et jetant des regards autour de lui. C’est Jeanne qui fut la première à le voir comme elle sortait de l’église, après avoir prié pour son fils Thomas. Un jour, il y a trente ans de cela, à peine âgé de 21 ans, le jeune homme avait quitté le domicile familial, suite à une violente dispute avec le père. Depuis, il n’avait jamais donné de ses nouvelles. Le père s’était terré dans sa colère, et il déclarait que son fils était désormais mort pour lui. De son côté, Jeanne était en proie aux plus vives angoisses et, chaque fois qu’elle pensait à son fils, c’est comme si on lui arrachait le cœur de la poitrine. Pourquoi n’avait-il jamais envoyé de lettre ?
L’homme qui marchait seul, en cette fin de journée, sortit une cigarette de sa poche et l’alluma, plaçant sa main en auvent pour la protéger de la petite pluie fine. Il s’était arrêté près de la fontaine de Lanzergues, et semblait songeur en regardant les gouttes de pluie troubler l’onde contenue dans la vasque de pierre. Il leva son visage et regarda Jeanne droit dans les yeux. Une grande tristesse emplissait le regard de l’homme.
C’est alors que Jeanne sentit comme un coup de couteau remuer dans son ventre : était-ce bien possible ? Ces yeux, ce visage taillé à la serpe, cette cicatrice sur le front, cette moue au coin des lèvres, elle les aurait reconnus entre mille. Sa respiration s’accéléra. Elle ne pouvait y croire. Était-ce bien lui, après toutes ces années d’absence ? N’était-ce pas un effet de la pluie ? Elle porta la main à sa bouche et dit dans un sanglot :
« Thomas ! »
L’homme se rapprocha d’elle, jeta sa cigarette, et passa nerveusement la main dans ses cheveux, comme il avait l’habitude de le faire enfant, chaque fois qu’il craignait qu’on le gronde. Jeanne éclata en pleurs et se jeta dans les bras de son fils retrouvé. Son petit ange, son oiseau de paradis lui était revenu.
La mère et le fis s’étreignirent longtemps, sans parler. La nuit tombait sur Lanzergues, mais une lumière enveloppait ces deux êtres qui se redonnaient vie l’un à l’autre.

© Thibault Marconnet
le 24 novembre 2017

samedi 18 novembre 2017

Dans les yeux du paon : “Taos” (López/Petrakis/Chemirani)



Dans la belle langue grecque, “taos” (ταώς) signifie “paon” ; et ce titre donne la mesure du nouvel album envoûtant des trois grands musiciens que sont Efrén López, Stelios Petrakis et Bijan Chemirani. À travers onze morceaux, tous plus enivrants les uns que les autres, les trois hommes nous offrent à imaginer la roue merveilleuse d’un paon qui nous fixerait de tous ses yeux. Jetez dès à présent vos vieilles boussoles, car cette musique vous fera perdre toute notion du nord, du sud, de l’est et de l’ouest. Un seul point cardinal en vue : celui de la soif qui nous pousse à vivre envers et contre tout, en quête d’une fontaine de jouvence à laquelle nos lèvres desséchées pourront boire ; afin de poursuivre jusqu’au bout notre pèlerinage terrestre pour retrouver la source de vie et ses multiples facettes. Dans cette méharée fantastique à travers des contrées inconnues, il suffit de se laisser guider en toute confiance. N’ayez nulle crainte : vous êtes en fort bonne compagnie. Sous les doigts agiles de ces trois alchimistes, les mélodies se font paysages, couleurs et sensations charnelles. “Taos” est une prodigieuse invitation à l’extase d’un voyage vers de nouveaux territoires : dans la “douceur de l’amour” (“Siranush”) et des “jours de silence” (“Imeres siopis”) se déploie le vol fragile d’une “libellule(“Helicobtir”) aux ailes “bleues et jaunes” (“Shin u zer”). Et le plomb du quotidien qui pèse sur nos épaules se change alors en un léger nuage d’or.

© Thibault Marconnet
le 18 novembre 2017




Efrén López, Bijan Chemirani et Stelios Petrakis